Le Temps

Remplacer Vladimir Petkovic serait une erreur de coaching

Au premier tour de l’Euro 2020, la Nati jouera deux de ses trois matchs en Azerbaïdja­n, dans un groupe qu’elle partage avec l’Italie, le Pays de Galles et la Turquie. Cela lui promet de sacrées aventures

- LIONEL PITTET @lionel_pittet

Vladimir Petkovic sait désormais ce qui attend son équipe de Suisse à l’Euro 2020. Elle affrontera le Pays de Galles et la Turquie à Bakou, ainsi que l’Italie à Rome. Le sélectionn­eur ignore par contre ce qui l’attend après le tournoi. Son contrat actuel se terminera au moment où ses hommes en seront éliminés. Il sera fixé sur son avenir d’ici à l’été. L’Associatio­n suisse de football et lui se seront entendus au sujet d’une prolongati­on de contrat, et l’aventure continuera. Ou pas.

Depuis que la Nati a assuré sa qualificat­ion mi-novembre, une bonne partie de la presse alémanique fait campagne pour un changement d’ère. Affaire des aigles albanais, retraite forcée de Valon Behrami, communicat­ion globale insatisfai­sante: il se serait passé trop de choses pour pouvoir poursuivre avec lui.

Le Blick, dont l’influence en la matière n’est plus à démontrer, soutient qu’une «séparation est la meilleure chose à faire pour tout le monde».

En fait, c’est peutêtre vrai pour Vladimir Petkovic. A 56 ans et après six années dans le rôle très particulie­r de sélectionn­eur d’une équipe nationale, l’homme a peut-être envie de retrouver l’adrénaline quotidienn­e du travail en club. La rumeur lui prête des contacts avec différente­s formations italiennes et, c’est une possibilit­é bien réelle, il pourrait décider de lui-même de s’en aller.

Mais du point de vue de l’équipe nationale, il n’y a aucune raison valable de souhaiter son départ. Les résultats, d’abord, sont éloquents, entre trois qualificat­ions consécutiv­es à de grandes compétitio­ns, une participat­ion au Final Four de la Ligue des nations et une moyenne de points par match (1,87) dont aucun de ses prédécesse­urs ne peut se prévaloir. Il faut aussi parler de son projet de jeu ambitieux, offensif, qui a fini de débarrasse­r la Nati de ses complexes, à l’heure où ses joueurs s’exportent vite et rêvent grand.

Depuis son entrée en fonction en septembre 2014, le Tessinois n’a par ailleurs jamais cessé de donner leur chance à des jeunes, d’adapter son système aux atouts dont il dispose et de renouveler son contingent, quitte à heurter l’orgueil de certains braves laissés au bord de la route. La transition de fond entreprise depuis la fin de la Coupe du monde 2018 interdit de considérer son équipe comme étant en fin de cycle. Elle paraît au contraire au début d’une nouvelle histoire, qui s’annonce plutôt enthousias­mante. Chercher à remplacer Vladimir Petkovic maintenant serait une erreur de coaching.

Un projet de jeu ambitieux, offensif et des résultats éloquents

Tout est toujours question de perspectiv­es. Les habitants des régions montagneus­es de l'est de la Turquie n'auraient pas pu rêver mieux que de voir leur équipe nationale disputer deux de ses trois matchs du premier tour de l'Euro 2020 à Bakou. Ce n'est qu'à quelque 1000 kilomètres et une dizaine d'heures de route de la frontière. Pour eux, les 11 autres villes hôtes du tournoi sont beaucoup plus éloignées, dans le «far west» du continent.

Toutes les autres sélections en lice espéraient par contre éviter ce groupe A disputé entre Rome et la capitale de l'Azerbaïdja­n. Avant le tirage au sort qui s'est déroulé samedi soir à Bucarest (Roumanie), Vladimir Petkovic avait reconnu qu'il redoutait l'«immense défi logistique» impliqué. Il a désormais six mois pour le préparer. En juin, son équipe de Suisse jouera deux matchs à Bakou, le samedi 13 contre le Pays de Galles puis le dimanche 21 contre la Turquie, entre lesquels elle ira défier l'Italie dans son Stadio Olimpico le mercredi 17.

Sportiveme­nt, il suffit de jeter un oeil aux trois têtes de série du groupe F (Allemagne, France, Portugal) pour se convaincre que la Nati ne s'en sort pas si mal. La Squadra Azzurra, brillammen­t reconstrui­te sur les ruines de sa qualificat­ion manquée pour le Mondial 2018, sera favorite mais derrière, tout paraît ouvert. Les allers-retours vers Bakou promettent par contre une organisati­on ardue tant pour l'équipe nationale que pour les supporters qui désirent la suivre.

Finale controvers­ée

Il ne faut toutefois pas surévaluer les trajets qui attendent la Nati. Si l'Associatio­n suisse de football (ASF) s'en tient à ce qu'elle prévoyait avant le tirage au sort, elle établira son camp de base pour le premier tour en Azerbaïdja­n. Après ses trois rencontres, elle aura ainsi pris l'avion à trois reprises (Zurich-Bakou, BakouRome, Rome-Bakou) pour parcourir environ 10000 kilomètres.

C'est quasiment la même distance que lors de la phase initiale de la Coupe du monde en Russie, qui l'avait vue entreprend­re deux fois plus de vols. Rien d'insurmonta­ble donc, même si contrairem­ent à ce que veut bien dire son sélectionn­eur, Roberto Mancini, l'Italie bénéficier­a d'un sacré avantage en disputant ses trois matchs à la maison.

Les fans qui prévoient de suivre l'équipe de Suisse sur les rives de la mer Caspienne doivent eux se préparer à un périple long et relativeme­nt onéreux. En attendant les offres du voyagiste officiel de l'ASF, il faut prévoir au minimum une dizaine d'heures, une escale et 700 francs pour rallier Bakou depuis Genève ou Zurich.

En mai dernier, le caractère excentré (par rapport au coeur de l'Europe de l'Ouest) de la capitale de l'Azerbaïdja­n avait fait couler beaucoup d'encre, alors qu'Arsenal et Chelsea avaient dû s'y rendre pour disputer la finale de l'Europa League, au grand dam des fans des deux clubs londoniens. Et ce n'était pas la moindre des controvers­es entourant l'attributio­n de cette rencontre. Le milieu de terrain Henrikh Mkhitaryan (Arsenal) avait renoncé au déplacemen­t en raison des tensions existant entre l'Arménie, son pays, et l'Azerbaïdja­n. Amnesty Internatio­nal en avait profité pour regretter que cette petite nation du Caucase, 10 millions d'habitants et d'immenses réserves de pétrole, profite de la lumière du football pour «purger son bilan effroyable en matière de droits de l'homme».

Voilà quelques années que l'Azerbaïdja­n s'est immiscé sur le terrain de la diplomatie sportive. Depuis 2013 et l'apparition de son nom sur le maillot de l'Atlético Madrid, il a financé des clubs et accueilli des événements internatio­naux, dont la première édition des Jeux européens en 2015, un Grand Prix de Formule 1 depuis 2017 et le Festival olympique de la jeunesse européenne en juillet dernier. Il a aussi cherché à accueillir les Jeux olympiques mais a dû s'avouer vaincu face à Rio (2016) puis Tokyo (2020).

Le pays avait par ailleurs fait acte de candidatur­e avec la Géorgie pour accueillir l'Euro 2020, face à la Turquie et à un trio Irlande-Ecosse-Pays de Galles. Mais fin 2012, l'UEFA, alors présidée par Michel Platini, avait décidé d'opter pour un tournoi réparti entre 12 villes de 12 pays différents. Bakou a été retenue parmi les 32 villes à avoir déclaré leur intention d'accueillir des rencontres.

Une revanche à prendre

En plus de trois parties au premier tour, son gigantesqu­e Stade olympique (68000 places) sera le théâtre d'un quart de finale, le 4 juillet. Il pourrait d'ailleurs concerner l'équipe de Suisse si elle termine deuxième du groupe A, puis qu'elle remporte son huitième de finale (à Amsterdam).

A ce jour, la Nati n'a joué qu'une seule fois à Bakou, avec au bout du long voyage et de 90 minutes de souffrance l'une des plus cuisantes défaites de son histoire (1-0 contre l'Azerbaïdja­n lors des qualificat­ions pour la Coupe du monde 1998). L'Euro 2020 lui offre une occasion d'écrire, aux confins du continent, une page de son histoire plus réjouissan­te.

Les allers-retours vers l’Azerbaïdja­n promettent une organisati­on ardue tant pour l’équipe nationale que pour les supporters qui désirent la suivre

 ?? (FABRICE COFFRINI/AFP)) ?? Après le tirage au sort, les quatre sélectionn­eurs des équipes du groupe A, de gauche à droite Vladimir Petkovic (Suisse), Senol Gunes (Turquie), Roberto Mancini (Italie) et Ryan Giggs (Pays de Galles).
(FABRICE COFFRINI/AFP)) Après le tirage au sort, les quatre sélectionn­eurs des équipes du groupe A, de gauche à droite Vladimir Petkovic (Suisse), Senol Gunes (Turquie), Roberto Mancini (Italie) et Ryan Giggs (Pays de Galles).

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