Le Temps

La seconde mort du Titanic

Un peu plus de cent ans après le naufrage du Titanic, une expédition a permis, cet été, de rapporter des images en haute définition de la carcasse. Le constat est implacable: rongé par les bactéries, l’immense paquebot devrait avoir disparu d’ici à 2030

- FLORENCE ROSIER

Dans la nuit du 14 avril 1912, le Titanic sombrait au large de Terre-Neuve, écrivant l’une des pages les plus dramatique­s de l’histoire de la navigation

■ Alors que l’épave du paquebot, rongée par les bactéries, aura disparu d’ici à 2030, retour, plus de cent ans après, sur une tragique odyssée

Il devait être le plus sûr, le plus luxueux, le plus imposant des paquebots de son temps. Un joyau flottant, le fleuron de la White Star Line, la fierté du RoyaumeUni. Un Titan des mers, vanté pour son caractère «pratiqueme­nt insubmersi­ble». La suite, vous la connaissez: le Titanic est entré dans la légende, oui. Mais par la tragédie. Après avoir heurté un iceberg, «l’insubmersi­ble» sombrera en moins de trois heures. Plus de 1500 personnes périront. Une des plus grandes catastroph­es maritimes en temps de paix.

Coulée par plus de 3800 mètres de fond, l’épave du Titanic sera retrouvée en 1985, brisée en deux morceaux, par une expédition franco-américaine. En août 2019, soit cent sept ans après le naufrage, une nouvelle expédition a rapporté des images en haute définition de l’immense carcasse. Cela faisait quinze ans que nul n’avait plongé sur cette dépouille. Le squelette du navire est apparu très affaibli par la corrosion, rongé par les bactéries qui dévorent le métal. Selon les experts, le Titanic aura totalement disparu d’ici à 2030.

Son épave est «en train de retourner à la nature», a expliqué à la BBC l’historien Parks Stephenson. La dégradatio­n du navire devrait s’accélérer, sous l’effet notamment de Halomonas titanicae, une bactérie qui n’a été découverte que sur cette épave – d’où son nom. En oxydant le fer, elle transforme le métal de la coque en «rusticles», des stalactite­s de rouille d’une extrême fragilité. «A peine frôlées, ces formations peuvent se pulvériser en un nuage de poussière», souligne la BBC. Une seconde mort programmée…

Une nuit qui rend heureux d’être en vie

Retour sur une saga qui avait commencé sous les meilleurs auspices. La constructi­on du navire est lancée en 1908 dans les chantiers navals de Belfast. Longue de 269 mètres, sa coque est assemblée avec de gigantesqu­es plaques d’acier de 2,5 cm d’épaisseur. Elle comporte un système de 16 cloisons étanches, pourvues de portes commandées à distance – pour maîtriser l’inondation, en cas de collision.

Le 10 avril 1912, à 12h15, le Titanic appareille pour son voyage inaugural. Puissant, élancé, majestueux, il largue les amarres à Southampto­n, en Angleterre. Après deux escales, il fait route vers New York. A son bord: 1324 passagers et 889 membres d’équipage.

Le 14 avril 1912, la soirée s’annonce féerique. «Il n’y avait pas de lune et je n’ai jamais vu les étoiles briller d’un plus vif éclat. Elles semblaient détachées du ciel, aussi étincelant­es que des diamants. C’était le genre de nuit qui rend heureux d’être en vie», racontera Jack Thayer, passager de première classe. Le Titanic croise au large de Terre-Neuve, dans l’océan Atlantique Nord. La nuit est glaciale, l’océan d’un noir d’encre. Seuls quelques icebergs, spectres immaculés, ponctuent les ténèbres de taches opalescent­es, presque irréelles.

Tout est parfaiteme­nt calme.

Compte à rebours fatidique

A 23h40, les deux veilleurs installés sur le nid-de-pie voient soudain surgir du brouillard un iceberg, droit devant eux, à moins de 500 mètres. Aussitôt, l’officier de quart tente de faire virer le navire vers bâbord, fait stopper les machines, demande de battre en arrière toute. Peine perdue. Trente-sept secondes plus tard, le Titanic heurte l’iceberg par tribord. Le choc est ténu. Mais la collision déchire des tôles, fait sauter des rivets, ouvre une voie d’eau

La nuit est glaciale, l’océan d’un noir d’encre. Seuls quelques icebergs, spectres immaculés, ponctuent les ténèbres de taches opalescent­es

Le naufrage a révélé une terrible réalité sociale: la ségrégatio­n entre millionnai­res, en première classe, et immigrants et matelots, logés près de la cale

dans la coque. Les portes étanches sont immédiatem­ent fermées. En vain: l’eau commence à envahir les cinq premiers compartime­nts du bateau. Or le Titanic ne peut flotter qu’avec, au maximum, quatre compartime­nts remplis d’eau.

Tiré de son sommeil, le commandant Smith convoque l’architecte du navire, Thomas Andrews. Son pronostic est implacable: il reste une heure ou une heure trente, pas plus, avant le naufrage. Des SOS sont lancés. Fatidique compte à rebours. A 23h50, la mer monte de plus de 4 mètres à la proue. A minuit, la salle du courrier est inondée. A 0h20, l’eau envahit les quartiers de l’équipage, à 14 mètres au-dessus de la quille. A 0h25, ordre est donné de faire embarquer les femmes et les enfants dans les canots de sauvetage. Mais beaucoup restent incrédules, trop confiants dans la résistance du navire. A 0h45, le premier canot est mis à l’eau: comme les suivants, il n’est rempli qu’au tiers! A 1h15, le Titanic gîte sur tribord, de plus en plus fort. A 1h30, la panique gagne les passagers restés à bord.

A 2h17, un dernier message est lancé. Smith s’adresse à son équipage: «Chacun pour soi!» La proue du géant s’enfonce, l’orchestre cesse de jouer, de nombreux passagers et marins sautent par-dessus bord – dans une eau à -1°C. La cheminée avant tombe, écrasant de nombreuses personnes. A 2h18, un énorme grondement retentit: tous les objets mobiles s’écrasent au fond de la partie avant, submergée. Les lumières du paquebot vacillent puis s’éteignent. A bord des 13 canots éparpillés sur les flots, les naufragés le voient se briser en deux. L’avant coule. L’arrière s’emplit lentement d’eau. A 2h20, la poupe se dresse brusquemen­t vers le ciel, comme un baroud d’honneur, puis coule à pic, engloutie par les flots. Les rescapés assistent au désastre, pétrifiés.

A 3h30, enfin, ils aperçoiven­t les fusées tirées par le Carpathia, qui s’est dérouté pour venir à leur secours. A 4h10, le premier canot est repêché; à 8h30, le dernier. L’annonce du naufrage est télégraphi­ée. Partout, c’est la sidération. Le bilan est effroyable: 1512 personnes ont péri – 820 passagers et 692 membres d’équipage.

Hubris humaine

La polémique va enfler. Y avait-il suffisamme­nt de canots de sauvetage? Le président de la White Star, Joseph Bruce Ismay, a-t-il poussé le commandant à aller plus vite? Le drame, en réalité, découle d’une conjonctio­n de malchances et d’erreurs humaines. Un hiver clément (d’où la présence de nombreux icebergs), une nuit très sombre, l’absence de jumelles dans le nid-de-pie. Et puis, les compartime­nts étanches ne montaient pas assez haut pour stopper la progressio­n de l’eau, la coque n’était double qu’au fond du navire. L’acier composant certaines parties de la coque, plongé dans une eau glaciale, devenait très cassant. Et oui, le paquebot allait trop vite, bien que respectant les règles de navigation de l’époque. Bien des vies auraient pu être sauvées, par ailleurs, sans le piètre remplissag­e des canots.

Si le drame a marqué les esprits, inspirant romans et films à foison, c’est aussi que le Titanic se voulait l’emblème d’une technologi­e triomphant­e. L’hubris humaine, punie par la nature? Le naufrage, par ailleurs, a révélé une terrible réalité sociale: la ségrégatio­n entre millionnai­res, en première classe, et immigrants et matelots, logés près de la cale. Violence des chiffres: 76% des membres de l’équipage et 75% des troisièmes classes ont péri, contre 58,6% des secondes classes et 37,5% des premières classes. La règle «les femmes et les enfants d’abord» a cependant prévalu: 70% des femmes et des enfants ont survécu, contre à peine plus de 20% des hommes.

 ?? (ATLANTIC PRODUCTION­S VIA AP) ?? Image tirée d’une vidéo montrant une partie de l’épave du Titanic qui repose à environ 3800 mètres sous la surface de l’océan Atlantique Nord, à environ 370 milles (596 km) au sud de Terre-Neuve au Canada.
(ATLANTIC PRODUCTION­S VIA AP) Image tirée d’une vidéo montrant une partie de l’épave du Titanic qui repose à environ 3800 mètres sous la surface de l’océan Atlantique Nord, à environ 370 milles (596 km) au sud de Terre-Neuve au Canada.
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