Le Temps

La magie des boules de Noël

Entre la dinde du 25 décembre et le champagne du 31, ils viennent de loin disputer les quatre tournois organisés au boulodrome d’Yverdon, où l’appétit de compétitio­n appelle la soif de conviviali­té (à moins que ce ne soit l’inverse)

- LIONEL PITTET @lionel_pittet

Poc. La boule s’écrase sur le gravier à quelques centimètre­s du cochonnet: 13-1, fin de partie. Bonne perdante, MarieJeann­e Rey fait la bise à Alwin

Pittet qui, comme le veut la tradition, lui paiera un coup à boire à la buvette. Tout semble séparer la joviale retraitée, qui joue surtout pour la conviviali­té même si elle «aime bien gagner», du jeune homme de 20 ans qui vient de disputer les Championna­ts d’Europe en Bulgarie avec l’équipe de Suisse et qui n’est pas «monté» de Lausanne pour «dire bonjour». Mais chaque 26 décembre, ils sont réunis au boulodrome d’Yverdon par la pétanque, comme le cousin punk et l’oncle beauf par le repas de Noël.

Entre la dinde du 25 et le champagne du 31, le club local a pris coutume d’organiser pas moins de quatre tournois, deux en doublettes, deux en triplettes. Il réitère son carton chaque année: les tableaux de 24 équipes se remplissen­t en quelques jours. «Nous n’avons que 12 terrains à l’intérieur, cela limite le nombre de places disponible­s, commente Julien Pellegrini, qui administre le concours de ce jeudi derrière son ordinateur. Il y aurait la demande pour doubler la participat­ion sans problème.» Il trépigne de jouer lui-même ce week-end. «Boulistiqu­ement parlant, l’année se termine début décembre avec le premier tour des interclubs. Après, il ne se passe plus grand-chose. Alors, quand viennent les Fêtes, on crève la boule, comme on dit.»

En finir avec l’image du pastis

Tchak. Bertrand Hug réussit son carreau pour remporter, avec son coéquipier, une première partie qui semblait mal engagée. «Il faut le temps de chauffer la machine», plaisante ce Valaisan devenu président de la Pétanque yverdonnoi­se voilà une année et demie. Autour de lui, la diversité des profils témoigne de l’évolution de la discipline. Il y a des jeunes, des anciens, quelques femmes. Des habitués qui tirent par plaisir routinier, des ambitieux qui pointent pour gagner. «Cela fait une dizaine d’années que la discipline a commencé à changer d’image, insiste-t-il. On décolle petit à petit l’étiquette de buveurs de pastis. Maintenant, il y a la diffusion de certains tournois à la télévision, l’espoir de rejoindre les Jeux olympiques un jour, et le côté compétitio­n gagne en importance.»

Venu de loin

En milieu de matinée, la buvette a déjà servi quelques bières mais le jeune champion Alwin Pittet célèbre son deuxième succès de la journée sans alcool. «Je viens ici chaque année car ce sont les seuls tournois en Suisse romande à ces dates, précise-t-il. Oui, j’ai fait la fête le 24 au soir et le 25 à midi, mais au bout d’un moment, je regarde la montre et je me dis que c’est l’heure de rentrer si je veux être en forme. Sinon, ce n’est pas la peine de se déplacer.» Membre du cadre national, il a dans le viseur les Championna­ts du monde qui se dérouleron­t en juillet à Lausanne, chez lui. Et il sait que dans le petit monde des boules, les infos circulent, donc une victoire à Yverdon ne ferait pas tache au palmarès… «Mais l’essentiel, c’est de jouer des parties difficiles, car c’est là qu’on progresse vraiment.»

Paw. Une boule heurte bruyamment la planche en bois délimitant le terrain: tir manqué. «C’est pas souvent», s’amuse un spectateur. Sur chaque terrain, les tactiques sont discutées, les plans exécutés, la plupart des coups réussis. «Attention, même si

«Nous pratiquons un des seuls sports où l’amateur peut avoir l’occasion de défier un champion du monde»

BERTRAND HUG , PRÉSIDENT

DE LA PÉTANQUE YVERDONNOI­SE

c’est ouvert à tout le monde, il ne s’agit pas d’un tournoi populaire comme il y en a dans les villages en été, fait remarquer Julien Pellegrini derrière son ordinateur. Les gens sont là pour s’entraîner, pour tester des choses avant le début de l’année. Pour se dire que le lendemain de la fête de famille, on va venir jouer aux boules de 9h à 18h, il faut déjà être passionné.»

Lorsqu’il a pris son billet d’avion, Laurent Pellaton craignait précisémen­t d’avoir le bras qui démange pendant sa semaine de vacances. Ce Neuchâtelo­is s’est pris de passion pour les boules sur l’île de Jersey, où il a déménagé pour des raisons profession­nelles voilà sept ans. «Là-bas, il y a un terrain sur le moindre carré de sable, sans doute l’influence française, rigole-t-il. Quand j’ai planifié ma semaine en Suisse pour les Fêtes, j’ai tout de suite cherché un endroit où je pourrais jouer après avoir passé du temps avec ma famille.»

Un échange d’e-mails plus tard, un partenaire lui avait été dégotté. «C’est une joie d’avoir un tel invité, sourit l’intéressé, Georges Curchod. C’est exactement l’esprit de conviviali­té des boules. Et puis, d’après nos premières discussion­s, nous voyons un peu le jeu de la même manière.» Laurent Pellaton acquiesce, mais précise: «Maintenant, il faudra qu’on joue de manière un peu plus agressive…»

Les copains d’abord

Kwik-wik-wik. Dans la plus grande des deux halles, les boules frottées l’une contre l’autre dans les mains des joueurs témoignent de la nervosité ambiante. Mais il reste quelques anciens pour contraster par leur détachemen­t. Robert Gianadda et Claude Thévenaz ont perdu leurs deux premières parties mais ce n’est pas bien grave. Ils se réjouissen­t quand même de la dernière, ainsi que du repas: «C’est toujours très bon, ici.» Ils viennent «presque tous les jours» au boulodrome, toute l’année. «On joue aux boules, on boit un coup. Le rapport qualité-prix est imbattable, avec le verre de rosé à 2 fr.

50. Ça permet de faire l’apéro et de refaire le monde avec les copains sans se ruiner», indique le premier. «Le résultat n’est pas bien important. Quand on est sur le terrain, on préfère gagner, mais l’important, c’est de passer un bon moment», souligne son compère.

Ils apprécient l’énergie qu’amènent les jeunes et tâchent, contre les meilleurs, «de ne pas prendre des tôles». Mais leur optique est différente. Claude Thévenaz sourit: «Vous savez, j’aime bien écouter les autres refaire leurs parties: je l’ai mise là, tu l’as ratée ici, etc. Je remarque une chose: c’est souvent la faute des autres. Des coéquipier­s, des adversaire­s, du terrain… C’est drôle, non?»

Le président du club, Bertrand Hug, est aussi attentif à ces joueurs moins intéressés par la gagne que par la conviviali­té. «Tout le monde n’a pas les moyens de partir en vacances, ou de skier, et beaucoup se disent qu’il vaut mieux aller jouer aux boules que de rester tout seul à la maison. Nous avons clairement aussi ce rôle-là et c’est important. Nous pratiquons un des seuls sports où l’amateur peut avoir l’occasion de défier un champion du monde. Elle est là, la magie des boules.» Et elle n’opère pas qu’à Noël.

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(THIERRY PORCHET) Sur le boulodrome d’Yverdon. «Le résultat n’est pas bien important. Quand on est sur le terrain, on préfère gagner, mais l’important, c’est de passer un bon moment.»
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