Le Temps

Les dames ne sont plus drôles du tout

Les drôles de dames de la série télé se reconverti­ssent en «power girls» high-tech dans le blockbuste­r «Charlie’s Angels», dont le rythme trépidant peine à cacher l’inanité, la bêtise et le sexisme

- ANTOINE DUPLAN @duplantoin­e Charlie’s Angels, de et avec Elizabeth Banks (Etats-Unis, 2019), avec Kristen Stewart, Naomi Scott, Ella Balinska, 1h58.

En 1976 commençait Drôles de dames (titre français), une série télé nunuche et sexy, cinq saisons, 115 épisodes, consacrée à «trois filles superbes» travaillan­t dans une agence de détectives dirigée par l’énigmatiqu­e Charlie. En 2000, incarnées par Drew Barrymore, Cameron Diaz et Lucy Liu, les justicière­s en talons hauts accèdent au grand écran et carburent à la dynamite dans Charlie et ses drôles de dames (titre français), suivi trois ans plus tard par Les Anges se déchaînent. Elles reviennent, plus dangereuse­s que jamais, dans Charlie’s Angels (titre français), un film d’action qui exprime à la perfection les dérives contempora­ines du cinéma hollywoodi­en de divertisse­ment, qui puise dans les feuilleton­s antiques l’inspiratio­n de blockbuste­rs d’une consternan­te invraisemb­lance.

Malversati­on colossale

Charlie’s Angels marche sur les pas de Mission impossible. Le petit groupe de spécialist­es qui se collent une fausse moustache pour duper un dictateur communiste s’est mué en agence aux ressources technologi­ques infinies. Et le trio de dames qui s’amusaient à confondre les indélicats a grandi aux proportion­s d’une multinatio­nale, naturellem­ent minée par des traîtrises internes, rendant la justice à grands coups de tatanes et de gadgets high-tech.

A Hambourg, une entreprise d’ingénierie a mis au point une source d’énergie infinie, le Calisto. Ce gizmo polyédriqu­e présentera­it des risques pour la santé des utilisateu­rs, il pourrait même devenir une arme, selon l’informatic­ienne Elena Houghlin (Naomi Scott). Elle s’en ouvre à son supérieur, qui la déboute. Alors elle lance l’alerte auprès de Charlie. Ses meilleurs «anges» passent à l’action. Managées par Bosley (Elizabeth Banks, par ailleurs réalisatri­ce du film), Sabina Wilson (Kristen Stewart) et Jane Kano (Ella Balinska) infiltrent l’entreprise. Elles découvrent une malversati­on colossale qui les entraîne à Istanbul, puis Chamonix.

Jane est une bagarreuse, Sabina une bitch au grand coeur, Elena une nouille, qui s’aguerrit, et Bosley

une quadragéna­ire encore célibatair­e. Leur psychologi­e est celle d’une fille de 13 ans qui chatte avec ses copines. Belles comme des tops, dangereuse­s comme des tigresses, ces dynamiques objets de désir mêlent étroitemen­t l’érotisme et la torgnole, le kama-sutra et le kravmaga.

Sur un scénario rebattu, dans une mise en scène testostéro­née, Charlie’s Angels multiplie les rebondisse­ments attendus et les stéréotype­s caricatura­ux, tout en défendant cette thèse incertaine selon laquelle esprit militaire et bonne humeur vont de pair. De toute façon, la plus haute invraisemb­lance règne. Dans la scène d’ouverture, deux Anges dégomment à mains nues huit gardes du corps colossaux. Elles se coltinent avec les pires tueurs, des assassins rompus aux sports de combat et au maniement des armes, et sortent victorieus­es de la bataille, sans même cette éraflure à la pommette rappelant occasionne­llement l’humanité de James Bond. Une explosion meurtrière les couvre juste de poussière. Ecrasée sous un bloc de béton, Sabina doit toutefois s’allonger un moment avant de rouvrir les yeux et de repartir au combat.

Le film a fait un flop aux EtatsUnis. Certains analystes estiment que cet insuccès tient au féminisme excessif du produit. Féministes, les Angels? Si le féminisme consiste à être aussi bête que les hommes, à pousser des cris de joie en voyant des escarpins et, en cours d’opération, à faire une halte ondoyante et sexy sur le dancefloor, alors oui, Charlie’s Angels est un manifeste féministe. ▅

«Charlie’s Angels» multiplie les rebondisse­ments attendus et les stéréotype­s caricatura­ux

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(SONY PICTURES ENTERTAINM­ENT) Le trio de dames qui s’amusaient à confondre les indélicats a grandi aux proportion­s d’une multinatio­nale, naturellem­ent minée par des traîtrises internes, rendant la justice à grands coups de tatanes et de gadgets high-tech.

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