Les dames ne sont plus drôles du tout
Les drôles de dames de la série télé se reconvertissent en «power girls» high-tech dans le blockbuster «Charlie’s Angels», dont le rythme trépidant peine à cacher l’inanité, la bêtise et le sexisme
En 1976 commençait Drôles de dames (titre français), une série télé nunuche et sexy, cinq saisons, 115 épisodes, consacrée à «trois filles superbes» travaillant dans une agence de détectives dirigée par l’énigmatique Charlie. En 2000, incarnées par Drew Barrymore, Cameron Diaz et Lucy Liu, les justicières en talons hauts accèdent au grand écran et carburent à la dynamite dans Charlie et ses drôles de dames (titre français), suivi trois ans plus tard par Les Anges se déchaînent. Elles reviennent, plus dangereuses que jamais, dans Charlie’s Angels (titre français), un film d’action qui exprime à la perfection les dérives contemporaines du cinéma hollywoodien de divertissement, qui puise dans les feuilletons antiques l’inspiration de blockbusters d’une consternante invraisemblance.
Malversation colossale
Charlie’s Angels marche sur les pas de Mission impossible. Le petit groupe de spécialistes qui se collent une fausse moustache pour duper un dictateur communiste s’est mué en agence aux ressources technologiques infinies. Et le trio de dames qui s’amusaient à confondre les indélicats a grandi aux proportions d’une multinationale, naturellement minée par des traîtrises internes, rendant la justice à grands coups de tatanes et de gadgets high-tech.
A Hambourg, une entreprise d’ingénierie a mis au point une source d’énergie infinie, le Calisto. Ce gizmo polyédrique présenterait des risques pour la santé des utilisateurs, il pourrait même devenir une arme, selon l’informaticienne Elena Houghlin (Naomi Scott). Elle s’en ouvre à son supérieur, qui la déboute. Alors elle lance l’alerte auprès de Charlie. Ses meilleurs «anges» passent à l’action. Managées par Bosley (Elizabeth Banks, par ailleurs réalisatrice du film), Sabina Wilson (Kristen Stewart) et Jane Kano (Ella Balinska) infiltrent l’entreprise. Elles découvrent une malversation colossale qui les entraîne à Istanbul, puis Chamonix.
Jane est une bagarreuse, Sabina une bitch au grand coeur, Elena une nouille, qui s’aguerrit, et Bosley
une quadragénaire encore célibataire. Leur psychologie est celle d’une fille de 13 ans qui chatte avec ses copines. Belles comme des tops, dangereuses comme des tigresses, ces dynamiques objets de désir mêlent étroitement l’érotisme et la torgnole, le kama-sutra et le kravmaga.
Sur un scénario rebattu, dans une mise en scène testostéronée, Charlie’s Angels multiplie les rebondissements attendus et les stéréotypes caricaturaux, tout en défendant cette thèse incertaine selon laquelle esprit militaire et bonne humeur vont de pair. De toute façon, la plus haute invraisemblance règne. Dans la scène d’ouverture, deux Anges dégomment à mains nues huit gardes du corps colossaux. Elles se coltinent avec les pires tueurs, des assassins rompus aux sports de combat et au maniement des armes, et sortent victorieuses de la bataille, sans même cette éraflure à la pommette rappelant occasionnellement l’humanité de James Bond. Une explosion meurtrière les couvre juste de poussière. Ecrasée sous un bloc de béton, Sabina doit toutefois s’allonger un moment avant de rouvrir les yeux et de repartir au combat.
Le film a fait un flop aux EtatsUnis. Certains analystes estiment que cet insuccès tient au féminisme excessif du produit. Féministes, les Angels? Si le féminisme consiste à être aussi bête que les hommes, à pousser des cris de joie en voyant des escarpins et, en cours d’opération, à faire une halte ondoyante et sexy sur le dancefloor, alors oui, Charlie’s Angels est un manifeste féministe. ▅
«Charlie’s Angels» multiplie les rebondissements attendus et les stéréotypes caricaturaux