Le Temps

«Le monde ne peut se passer de l’ONU»

- PHILIPPE MOTTAZ, THE GENEVA OBSERVER, ET STÉPHANE BUSSARD, «LE TEMPS» @StephaneBu­ssard

Bérangère Magarinos-Ruchat, responsabl­e du développem­ent durable auprès de Firmenich à Genève, souligne l’importance du partenaria­t privé-public. Elle appelle les jeunes à étudier les sciences pour mieux lutter, notamment, contre le changement climatique

«Contrairem­ent à ce que beaucoup pensent, nombre de multinatio­nales sont preneuses de réglementa­tion.» La doxa n’a jamais été du goût de Bérangère Magarinos-Ruchat. Et puisque nous parlons du lien entre le privé et l’ONU dans le cadre des Objectifs

de développem­ent durable (ODD) de l’ONU, elle ajoute: «C’est une complète absurdité de penser que le monde pourrait se passer de l’ONU. Ce n’est pas parce que les choses avancent parfois lentement qu’il faut baisser les bras.» Bérangère Magarinos-Ruchat parle d’autorité. Les liens entre le public et le privé ont fait l’objet de sa thèse de doctorat. Elle a travaillé de longues années à l’ONU, puis a été active au sein d’une fondation globale avant d’oeuvrer dans le privé. Elle est aujourd’hui la responsabl­e mondiale du développem­ent durable chez Firmenich à Genève.

Besoin irréductib­le de justice

C’est du regard né de cette multiplici­té des engagement­s que le Geneva Observer et Le Temps souhaitaie­nt profiter. «Alors, allons-y», lâche celle que tout le monde appelle Berry, au moment de jeter son dévolu sur un coin tranquille du restaurant flambant neuf du nouveau campus de Firmenich à Meyrin. Elle nous a donné rendez-vous en fin de journée, agenda démentiel derrière elle, pour être pleinement disponible.

La discussion entamée est d’une brûlante actualité. La rue est agitée. Dans le Financial Times, quotidien des affaires par excellence, Antonio Guterres déplore, en les comprenant, qu’un nombre croissant de gens aient le sentiment que «l’économie ne fonctionne plus à leur avantage». Il craint que si un effort majeur n’est pas accompli pour améliorer la coopératio­n entre les secteurs privé et public, les ODD, dont les deux premiers objectifs visent à réduire la pauvreté et à éliminer la faim dans le monde, resteront lettre morte. L’économiste franco-américaine Esther Duflo et son mari indien Abhijit V. Banerjee viennent de remporter le Prix Nobel d’économie pour leur travail innovant sur comment repenser la pauvreté. Les «hyperphila­nthropes» de l’âge numérique sont rudoyés par le journalist­e américain Anand Giridharad­as dans son best-seller Winners Take All. Depuis plus de trente ans maintenant, celle qui nous avoue être depuis toujours «mue par un besoin irréductib­le de justice» a été de toutes ces interrogat­ions.

Faites des sciences!

Aux jeunes qui solliciten­t son avis avant de choisir leurs études, Bérangère Magarinos-Ruchat conseille de faire exactement le contraire de ce qu’elle a fait ellemême. Ce n’est pas que cette femme engageante au caractère des plus hardis, ceux forgés tôt, aurait la moindre raison de douter de la justesse de ses premières conviction­s. Comment pourrait-il en aller ainsi pour cette Vaudoise de Sainte-Croix qu’une photo récente montre sous les feux de la rampe à Pékin, assise à la droite de Bill Gates? Non, explique-t-elle, s’il faut aujourd’hui impérative­ment opter pour des discipline­s dures, scientifiq­ues ou juridiques, c’est que les réponses à l’urgence climatique passent par l’innovation technologi­que, par une capacité à forger de nouveaux outils ancrés dans des données vérifiable­s. «Au besoin, on peut toujours étudier plus tard à Sciences Po, cursus que j’ai fait.»

Bérangère Magarinos-Ruchat applaudit quand Greta Thunberg appelle à «écouter les scientifiq­ues». Car «la science met tout le monde autour de la table et nous permet en plus de sortir de l’émotionnel». Elle avoue aussi que sa foi dans la raison comme rempart au désastre climatique a encore été raffermie par les dix ans qu’elle vient de passer chez Firmenich, «cette maison fondée depuis plus de cent vingt ans sur la science et la recherche». Elle aussi été renforcée par les projets pionniers qu’elle y mène aujourd’hui.

Réinventer les toilettes

Firmenich, depuis toujours engagée dans le développem­ent durable, est un partenaire de la première heure de ce qui n’était au départ qu’un projet visionnair­e de la Fondation Bill & Melinda

Gates: «Réinventer les toilettes» pour endiguer une pollution sanitaire létale qui fauche plusieurs millions d’enfants par année dans les pays les plus pauvres, en Inde, en Afrique. C’est aujourd’hui une initiative globale conduite notamment par le Toilet Board Coalition, dont Bérangère Magarinos-Ruchat fut deux ans durant jusqu’à cette année la vice-présidente du comité de pilotage.

Dans sa galerie de figures tutélaires, avant Bill Gates, il y eut l’épopée du microcrédi­t avec la Grameen Bank, ou Kofi Annan auquel elle voue une admiration profonde. «Après mon doctorat, toute jeune, je travaillai­s à l’Ecole des cadres de l’ONU à Turin. Je faisais l’éponge et absorbais les discussion­s absolument passionnan­tes qu’Annan menait avec des entreprene­urs.» Ce n’est que plus tard qu’elle comprendra qu’elle avait assisté à la naissance du Global Compact qui scellait les premiers principes sous-tendant les liens entre l’ONU et le secteur privé.

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