Ce lien qui nous rend forts
2019 a été une année radieuse pour la presse. Si vous trouvez que cette phrase sonne faux, vous avez raison. Et pourtant, je l’écris. Rachats et regroupements, fake news, mort programmée du papier sont autant de défis, partout et chaque jour, à la diversité et à la crédibilité des médias.
Un jour a été pire que les autres. Le 10 juin, le New York Times annonçait la fin des dessins de presse dans ses éditions. A la suite d’une publication jugée antisémite – une caricature du premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, avec une étoile de David au cou, tenu en laisse par un Trump aveugle, coiffé d’une kippa –, la polémique l’a emporté sur la liberté.
Notre dessinateur Chappatte (dont vous trouverez la rétrospective dans ce dernier numéro de l’année), collaborateur régulier du quotidien new-yorkais, en a fait les frais. Ailleurs, là où la démocratie n’est plus ou pas encore à l’oeuvre, des journalistes sont pris en otage, menacés, tués.
Alors, année radieuse? A la rédaction du Temps, nous observons attentivement ces mutations, nous pressentons ces périls, nous nous indignons de ces censures. Mais nous parvenons, parfois, à le faire dans la joie. Parce que nous le faisons avec vous et que les signes positifs ne manquent pas. La force de la communauté: c’est un des remèdes que nous avons trouvés contre le spleen chronique qui touche notre industrie. Grâce à votre présence lors de nos événements, nos tables rondes, vos contributions à nos blogs, votre participation à nos réseaux sociaux, vous et nous nous connaissons de mieux en mieux.
Hyperlien, cet espace de rencontre (en page 2 et à l’adresse hyperlien@letemps. ch) que nous avons lancé cette année, est le marqueur fort de cette philosophie. Nous y présentons nos méthodes de travail et nos outils pour le faire correctement. Vous y posez vos questions, mettez nos raisonnements à l’épreuve, protestez contre nos choix. Tout cela est si précieux.
Nous constatons chez vous, chères lectrices, chers lecteurs, à la fois un immense désir de débattre, et pourtant une crainte très tenace d’être confrontés à des opinions contraires aux vôtres. Notre numéro spécial «climat» du 9 mai a été l’une de nos plus grandes fiertés. Et pourtant, l’application que nous mettons à couvrir les enjeux autour de notre planète sous ultimatum continue d’excéder nombre d’entre vous.
Quant au baromètre de la parité – qui permet de mesurer la représentation des femmes dans nos pages et de réaliser, encore trop souvent, qu’elles sont minorisées –, aux ateliers d’écriture destinés aux femmes ou aux opérations audacieuses autour de la grève des femmes, ils sont la preuve que notre engagement féministe a viré à l’obsession, nous reprochent certains autres.
Ce choc des opinions, ces désaccords, ces indignations sont, pour nous, le signe qu’il faut poursuivre. Qu’un espace de débat, ouvert mais cadré, engagé mais courtois, est nécessaire. Qu’il n’y a, au fond, rien de mieux qu’un journal et qu’une communauté fidèle pour le faire. La recherche de la discussion, la capacité à faire coexister des opinions diverses sont des piliers de notre vision du journalisme qui se conjuguent à nos convictions profondes.
Cette année, Le Temps est également monté sur scène lors de six représentations dans les cantons romands. Un exercice de transparence, là encore imparfait, mais honnête et généreux. C’était une autre façon de vous parler et de vous raconter le monde, loin du moralisme ambiant et de la peur de froisser.
Nous parions donc aujourd’hui sur plus de satire, plus de femmes, plus de dossiers «climat», mais également sur plus de détracteurs, de plumes énervées, de blogueurs anti-politiquement correct et de lecteurs indociles. C’est à ces conditions que notre année 2020 sera aussi radieuse que l’a été 2019. Merci! ■
Plus de satire, de femmes et de plumes énervées