2020, année du sport responsable?
En 2019, beaucoup de choses qui étaient admises ou tolérées ont soudainement été mises à l’index. Le stade et la compétition ne sont plus des espaces à part et 2020 marquera peut-être l’introduction d’un usage plus citoyen du spectacle sportif
A quelques exceptions près (les sports mécaniques, le tennis, l’athlétisme), et en attendant la Coupe du monde de football en décembre 2022 au Qatar, l’année sportive n’est pas calendaire mais saisonnière. Elle débute dès la fin de l’été, ou seulement en automne, et s’étire toute la durée du printemps, si bien que la période des Fêtes invite autant à la rétrospective qu’à la prospective. Ce que fut 2019 laisse augurer de ce que sera 2020.
L’année qui s’achève devait être celle des nouveaux formats. En 2019, le football européen a accouché d’une nouvelle épreuve pour les équipes nationales (la Ligue des nations, remportée par le Portugal) et en a mis une autre, pour les clubs, en gestation (la Conference League). En tennis, l’ITF a réformé sa Coupe Davis tandis que l’ATP transforme en janvier sa Hopman Cup mixte en ATP Cup par duos masculins. La natation a vu naître la ligue privée ISL, sur le modèle de ce qui existe déjà en équitation. Le rallye «Dakar» a encore changé de continent, le golf a revu ses règles, l’athlétisme son système de classement. Sur tous les terrains, le sport organisé a cherché la formule magique, celle qui relancera l’intérêt des fans, multipliera les retombées économiques, garantira la pérennité d’un système ou s’en affranchira.
Une réforme des usages
Il s’est comme souvent assez peu soucié de morale, de justice et de responsabilité, mais ces considérations éthiques lui reviennent désormais en boomerang par la voix d’une partie agissante de l’opinion publique qui réclame des comptes, si bien que 2020 pourrait être l’année des nouvelles pratiques. On ne parle pas d’une énième réforme de la gouvernance, dont l’efficacité et surtout la réelle volonté restent à démontrer, mais d’une réforme des usages. Et si l’on se penche à nouveau sur l’année écoulée, on constatera qu’en 2019 de nombreuses pratiques anciennes ont soudainement été mises à l’index: le mépris vis-àvis du football féminin, la maltraitance dans le hockey sur glace, les abus sexuels dans la gymnastique américaine, le racisme dans les stades italiens, la tenue hors sol de championnats du monde d’athlétisme dans la fournaise de Doha ou encore l’usage irraisonné de l’avion.
Longtemps, mais c’était avant la puissance de feu des réseaux sociaux, les dirigeants du sport avaient le cuir, le pardessus ou le portefeuille assez épais pour résister aux critiques, aux pressions, aux pétitions, aux campagnes médiatiques, qui s’éteignaient d’elles-mêmes. Ces temps seront bientôt révolus, parce que le sport cesse chaque jour un peu plus d’être une sorte d’exception culturelle flottant en marge de la société comme un satellite échappant aux lois de l’attraction universelle.
Désormais, le public, même amateur de sport, ne tolère pas qu’un footballeur professionnel qui accompagne son épouse lors d’un accouchement soit critiqué par son entraîneur, et encore moins moqué par des journalistes et consultants. Il n’accepte pas, ou plus, que la défense des minorités passe après le souci de l’intérêt du plus grand nombre, comme lorsque les athlètes hyperandrogènes sont victimes d’une «discrimination raisonnable», assumée comme telle, de la fédération internationale. Il fait pression sur la FIFA pour que les Iraniennes aient le droit d’entrer dans les stades. Il soutient les joueuses de football qui exigent de leurs dirigeants les mêmes droits, les mêmes moyens et le même intérêt que ceux accordés aux hommes. Il ne comprend pas que deux athlètes qui franchissent la ligne d’arrivée main dans la main soient déclassés pour entraide illicite, ni que le prochain Dakar s’élance cette semaine à l’assaut des sables d’Arabie saoudite, ni que des photos de fin de congrès ne réunissent que des hommes âgés.
Un «folklore» en voie de disparition
Le stade lui-même cesse d’être un espace à part, et tant pis si ses excès remplissaient certaines fonctions, purgeaient certaines pulsions. Le «folklore» qui y présidait est en voie de disparition. Le processus est en marche depuis de nombreuses années mais il prend désormais une tournure juridique. Les supporters n’ont pas tout à y perdre. S’ils découvrent qu’ils ont des devoirs (respecter les lois), ils se rendent également compte qu’ils ont des droits, qu’ils cherchent à faire valoir de plus en plus hors des juridictions sportives.
Certains sports, certaines fédérations, tentent déjà de tenir compte de ces bouleversements en marche. Avec beaucoup de courage et de vision parfois, et d’autres fois avec juste de l’opportunisme. Le marathon de Cardiff promet désormais d’exclure les concurrents qui lanceront des bouteilles n’importe où, l’équipe de l’Ajax Amsterdam a effectué un déplacement en train. A suivre…
L’agenda 2020 l’avait prédit
En 2014, le Comité international olympique (CIO) avait fait voter une feuille de route baptisée «Agenda 2020» qui se promettait de réformer l’olympisme, en le rendant plus démocratique, moins coûteux, plus responsable et plus durable. «Si nous ne répondons pas aux défis, très vite nous nous heurterons à eux. Si nous ne sommes pas à l’origine de ces changements, d’autres nous y pousseront», avait souligné le président du CIO, Thomas Bach, dans son discours de présentation. C’est exactement cela, et ça ne concerne pas que l’olympisme mais le sport professionnel dans son ensemble.
En 2020, on suivra donc avec attention le procès qu’intentent les championnes du monde de football à la fédération américaine. On suivra aussi l’évolution de l’implantation de l’assistance vidéo à l’arbitrage (VAR), dont les débuts sont pour le moins discutables et discutés. On suivra encore les contorsions des organisateurs des JO de Tokyo pour accommoder le programme des épreuves à la chaleur et à l’humidité de l’été. On suivra enfin l’augmentation sans fin des droits télévisés des retransmissions sportives, dont on sent que l’on approche du point de rupture, au-delà duquel le public se lassera de payer toujours plus d’abonnements différents.
Mais l’on suivra d’abord les Jeux olympiques de la jeunesse, du 9 au 22 janvier à Lausanne, parce que ce retour aux sources du sport constitue l’occasion rêvée de mettre toutes ces bonnes résolutions de début d’année en pratique. ■
Le sport cesse chaque jour un peu plus d’être une sorte d’exception culturelle flottant en marge de la société comme un satellite échappant aux lois de l’attraction universelle