Les échos de Terry Riley au-delà de la musique
Référence pour les compositeurs modernes comme pour les musiciens pop, technos, ou électros, Terry Riley est aussi au coeur d’une constellation artistique et intellectuelle. A Genève, une exposition reconstruit les multiples jeux de résonance de son oeuvre dans les arts visuels
Pionnier de ce mouvement musical né aux Etats-Unis au début des années 1960 qu’on appelle la musique répétitive (ou minimaliste), Terry Riley n’est pas devenu une superstar pop comme son compatriote Philip Glass. Quant à son influence pourtant majeure sur le champ des arts visuels, similaire à celle d’un La Monte Young, encore récemment mis à l’honneur au Centre Pompidou à Metz, elle n’avait pas, jusqu’ici, fait l’objet d’une exposition digne de ce nom.
Une explication est peut-être à trouver dans le parcours de vie monacal de Riley, fait de détachement, d’ascétisme et d’une recherche active du laisser-faire. A 84 ans, il vit dans un ranch isolé du Nevada. Et il se fait rare. Il est donc parfaitement surprenant et complètement logique que sa première rétrospective soit le fruit d’un collectif indépendant plutôt que d’une grosse machine institutionnelle.
Il a fallu toute l’insistance des membres de MMMMM pour réussir, visite après visite, à le convaincre de se replonger dans sa vie et ses archives, et d’interrompre pour un temps le rythme d’une vie construite quotidiennement sur la méditation et l’expérimentation musicale.
Paysage silencieux
Réservant l’approche historique à la monographie qu’ils préparent pour l’automne 2020, les membres de MMMMM ont transposé visuellement les grands principes qui gouvernent cette oeuvre: la répétition, évidemment, le dépouillement mais aussi l’intérêt jamais démenti pour les effets physiologiques et psychologiques de la musique. L’exposition se construit ainsi comme un paysage silencieux où une communauté d’oeuvres, documents, fac-similés se mêlent sans hiérarchisation, une partition murale qui s’étend intuitivement et «par cercles concentriques» autour de la musique de l’Américain.
En son coeur, la seule installation sonore jamais réalisée par Riley, le Time Lag Accumulator (présentée ici dans une version mise à jour par le musicien). Dans ce labyrinthe hexagonal de miroirs et de sons, conçu pour la première fois en 1968 à une époque où on ne parlait pas encore d’installation, on expérimente à la fois la répétition infinie de sa propre image et la perte des repères temporels et sonores (les sons produits par l’ensemble des visiteurs sont enregistrés, transformés et rediffusés dans les salles avec un léger décalage). Puis différentes sphères d’influences, plus ou moins explicites, s’étendent jusqu’à la scène genevoise contemporaine.
Altérer les perceptions
Pour Riley, la répétition sert avant tout à «faire émerger des vibrations émotionnelles» chez celui ou celle qui écoute. Cette approche se retrouve chez nombre d’artistes utilisant l’abstraction et la géométrie, qui figurent ici en bonne place, avec Jordan Belson, Francis Baudevin, John McCracken, Agnes Martin, Vidya Gastaldon ou Channa Horwitz.
Si leurs pratiques respectives appartiennent à des traditions radicalement différentes, qui vont de l’art concret au minimalisme en passant par l’art conceptuel, l’exposition les réunit sous la bannière d’une méthode sinon quasi mystique, du moins spirituelle, combinant différence et répétition pour altérer les perceptions. A cet égard, elle fonctionne aussi comme un essai visuel ambitieux portant sur l’abstraction géométrique.
Au point de vue strictement historique, les commissaires développent une autre hypothèse passionnante, à savoir que la musique répétitive est née au contact du monde de la danse: Young et Riley fréquentèrent au tout début des années 1960 le San Francisco Dancers’ Workshop d’Anna Halprin, dont ils furent les directeurs musicaux. Halprin utilisait justement, dans ses chorégraphies, les gestes du quotidien, qui finirent par intégrer, via leur répétition, le vocabulaire formel de la danse. Le catalogue à paraître en dira certainement plus sur cette question. En attendant, un programme étendu de projections et concerts complète cette remarquable exposition, dans laquelle on ne peut que se laisser happer. ■
Son parcours de vie est fait de détachement, d’ascétisme et d’une recherche active du laisser-faire
By repetition, you start noticing details in the landscape,Le Commun, Genève, jusqu’au 19 janvier. mmmmm.ch