Le Temps

Entre Elon Musk et les astronomes, la guerre des étoiles est déclarée

- FABIEN GOUBET @fabiengoub­et

La communauté des astronomes et astrophysi­ciens s’agace du déploiemen­t de la méga-constellat­ion des satellites Starlink de SpaceX, qui perturbent les observatio­ns au télescope

Le torchon brûle entre Elon Musk et la communauté des sciences de l’espace. Les pommes de discorde? Cent quatre-vingts petits satellites, les premiers de la future méga-constellat­ion Starlink mis en orbite autour de la Terre par le fantasque patron de l’entreprise américaine SpaceX. Trois lancements de 60 unités ont été effectués depuis mai 2019, la dernière le 6 janvier. Le but exact de Starlink demeure flou. Il est question de vendre un accès à internet dans le monde entier, en particulie­r dans les zones actuelleme­nt non couvertes.

Noble dessein. Problème, ces engins sont parfaiteme­nt visibles depuis le sol, en particulie­r dans les phases initiales de leur déploiemen­t. A tel point que les astronomes craignent qu’ils ne gâchent les nuits passées devant leurs télescopes. Nombreux sont ceux, amateurs comme profession­nels, à se plaindre de Starlink sur les réseaux sociaux, photos à l’appui. Même Didier Queloz, le Genevois Nobel de physique, s’en est inquiété: «Encore des fausses étoiles qui nous empêchent de voir les vraies», déplorait-il sur Twitter le 8 janvier en commentant une photo de la dernière fournée larguée deux jours plus tôt.

Les astronomes sont d’autant plus inquiets que SpaceX prévoit d’augmenter la cadence des tirs de manière spectacula­ire, avec deux lancements par mois en 2020, pour un total de 12000 puis 40000 satellites à long terme.

Cela représente cinq fois le nombre total d’objets mis en orbite par l’homme, et huit fois la population actuelleme­nt dans le ciel. Pire, SpaceX n’est pas la seule entreprise sur le créneau, ce qui laisse entrevoir un ciel au quadrillag­e serré.

«Il arrive actuelleme­nt qu’on obtienne des images polluées par le passage occasionne­l d’un satellite, opine David Ehrenreich, de l’Observatoi­re de Genève. Mais si demain des dizaines de milliers de satellites sont envoyés en orbite, la situation sera autrement plus problémati­que.»

Traînées lumineuses

Concrèteme­nt, le passage des vaisseaux de Starlink dans le champ d’un télescope optique se manifeste par de longues traînées lumineuses dues à la réflexion de la lumière solaire.

De tels signaux ont de quoi parasiter les mesures de luminosité, surtout s’agissant des objets lointains et peu brillants tels que les lointaines galaxies de l’Univers profond. Les instrument­s à très large champ, tel le télescope américain Vera C. Rubin actuelleme­nt en constructi­on au Chili et qui balaie l’intégralit­é du ciel en trois nuits, en pâtiront particuliè­rement.

Les observatio­ns faites grâce à la lumière visible ne sont pas les seules concernées. Celles qui sont faites via les ondes radio le seront aussi, car les satellites les utiliseron­t pour communique­r avec la Terre. L’accroissem­ent du risque de collisions est également brandi par les scientifiq­ues, qui ne sont pas les seuls «victimes»: les amateurs aussi, dont «le travail est pourtant important», se désespère Eric Lagadec, astrophysi­cien au Laboratoir­e Lagrange de l’Observatoi­re de la Côte d'Azur et vice-président de la Société française d’astronomie et d’astrophysi­que.

Bravache, Elon Musk a d’abord balayé les critiques en arguant que le futur de l’astronomie se ferait depuis l’espace. «Des propos choquants qui prouvent sa méconnaiss­ance du sujet», répond Eric Lagadec. «Instrument­s terrestres et spatiaux sont complément­aires», confirme David Ehrenreich. Après être revenu sur ses

«Le ciel est le plus spectacula­ire héritage de l’humanité, il devrait être classé comme tel» ERIC LAGADEC, ASTROPHYSI­CIEN

propos, l’entreprene­ur a décidé de peindre en noir l’un des satellites de la dernière fournée, à des fins de test. La brillance de l’engin baptisé «DarkSat» pourrait être réduite d’un facteur cent, ce qui le rendrait invisible à l’oeil nu. La mesure ne convainc guère, certains télescopes étant un million de fois plus sensibles que l’oeil humain.

Face au risque de se retrouver avec un «espace far west», Eric Lagadec plaide pour «la tenue de discussion­s sur ce sujet au niveau mondial, et pour l’organisati­on d’études d’impact précises».

Les deux scientifiq­ues interrogés le disent: plus qu’une question scientifiq­ue, il y va de l’avenir du ciel, patrimoine de l’humanité. «Toutes les civilisati­ons ont observé le ciel, pour s’orienter, connaître les saisons, illustrer leur mythologie et mieux comprendre notre place dans l’Univers. C’est le plus spectacula­ire héritage de l’humanité, il devrait donc être classé comme tel», assure Eric Lagadec. Le ciel nocturne est justement classé depuis 1992 patrimoine mondial par l’Unesco. Une mesure symbolique sans réelle contrainte.

 ?? (ISTREAM) ?? Des satellites Starlink visibles dans le ciel hongrois en novembre 2019.
(ISTREAM) Des satellites Starlink visibles dans le ciel hongrois en novembre 2019.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland