Avec Max Kettel, les prémices de la Suisse d’aujourd’hui
La Médiathèque Valais-Martigny remet en lumière le travail du photographe genevois qui a accompagné, au milieu du XXe siècle, l’âge d’or de la presse illustrée
◗ En 1950, dans les colonnes de la prestigieuse revue américaine Popular Photography, Max Kettel (1902-1961) parlait ainsi de son métier: «Le photographe doit donner une «nouvelle apparence» au vieil objet familier. Il doit aider l’observateur inattentif à observer plus attentivement.» Observer attentivement: voilà ce qui résume au mieux la carrière du Genevois, qui entre 1926 et 1960 accompagna l’âge d’or de la presse illustrée en publiant des centaines de reportages dans des magazines comme L’illustré, La
Patrie suisse ou Die Schweizer Illustrierte, tout en ayant également à quelques reprises les honneurs de Life.
Pionnier méconnu – ou plutôt oublié – du photojournalisme helvétique, Kettel a réalisé des milliers d’images qui sont aujourd’hui de précieux témoignages pour comprendre l’évolution d’une Suisse qui, de l’entre-deux-guerres aux Trente Glorieuses, connaîtra de profonds bouleversements tant sociaux qu’économiques et politiques. Désormais dépositaire du fonds Kettel, la Médiathèque Valais-Martigny présente quelque 250 photographies qui, mises en contexte, permettent non seulement de découvrir son travail, qui se définit par une immense variété des sujets, mais aussi de réfléchir à l’histoire de la presse et de questionner la représentation d’une Suisse qui, à une période où tradition et modernité s’entrechoquaient parfois violemment, avait à coeur de construire une mythologie.
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Commissaire de l’exposition valaisanne, le photographe Nicolas Crispini a eu l’excellente idée de la prolonger non pas avec un catalogue, mais à travers une publication en forme de revue illustrée. Le premier et unique numéro de La
Suisse Magazine permet ainsi la mise en valeur de l’oeuvre de Kettel dans le format même qui a fait sa réputation, et en l’accompagnant d’une vingtaine d’essais proposant autant de regards sur son travail. Dans un texte consacré à la presse des années 1930-1940, à savoir la période qui a vu le Genevois se faire un nom, le sociologue Gianni Haver rappelle avec beaucoup d’à-propos que, «à une époque où la télévision n’existe pas encore, le rôle que ces périodiques revêtent dans l’offre médiatique du pays est fondamental. La presse illustrée représente – avec les films d’actualité habituellement projetés dans les salles de cinéma en début de séance – quasiment l’unique moyen d’accéder à une information en images.»
Pour Nicolas Crispini, Kettel est une sorte de «couteau suisse de la photographie de reportage». Mandaté par les rédacteurs en chef des journaux pour lesquels il travaille, il va là où l’actualité le guide, photographiant aussi bien des manifestations populaires que sportives, des ouvriers au travail que des scènes paysannes. Souvent, il réalise des reportages qui évoquent des romans-photos dans leur manière d’installer une véritable narration, comme lorsqu’il se penche sur le métier de décorateur de cinéma, accompagne une jeune recrue qui assiste, à Visperterminen, à la procession de la Fête-Dieu. Mais ce qui frappe surtout, au-delà des sujets abordés, c’est le caractère très graphique d’images savamment construites, aux lignes de fuite et aux contrastes souvent saisissants.