Guerre commerciale: tout ça pour ça
Donald Trump a-t-il gagné face à la Chine? Sans surprise, le locataire de la Maison-Blanche a encensé un accord «historique» pour mettre un terme – temporaire – aux disputes commerciales avec Pékin. De façon plus étonnante, de nombreux commentateurs ont renchéri en évoquant une réussite pour le président des Etats-Unis. Qu’en est-il? Au vu des objectifs déclarés au moment du déclenchement des hostilités par Washington, en mai 2018, on est loin du compte. Quant au bilan de dix-huit mois de surenchère tarifaire, il est clairement négatif pour l’économie des Etats-Unis.
Reprenons: en 2018, l’administration américaine exigeait de Pékin de mettre un terme aux subventions massives d’Etat à ses entreprises (distorsion de concurrence), de cesser son piratage industriel, d’ouvrir son marché et d’équilibrer la balance commerciale des deux pays. Sur le premier point, le résultat est nul. Le pouvoir chinois n’a pas bougé d’un iota. Washington laisse entendre que ce sera pour une phase II de la négociation. Pour le piratage et l’ouverture de son marché, la Chine promet de faire mieux – comme elle le fait depuis vingt ans dans le cadre de ses engagements de l’OMC. Rien de nouveau, même si les pressions de Washington sont bienvenues pour forcer Pékin à évoluer vers davantage de réciprocité. Sur le dernier point, c’est la reculade. Il n’y a pas d’engagement à réduire le déficit commercial de 200 milliards de dollars, par an et dans la durée, mais un contrat d’achat par Pékin de 200 milliards de produits américains sur ces deux prochaines années.
Qu’ont gagné les Etats-Unis? Le déficit commercial avec la Chine s’est creusé depuis le déclenchement des hostilités. Depuis un an et demi, les agriculteurs américains souffrent (Pékin les a ciblés dans ses contre-mesures et Washington a dû débloquer un plan d’aide supérieur à celui octroyé au secteur automobile en 2009), ainsi que de nombreuses entreprises d’exportation. Il n’y a quasiment eu aucun effet sur le rapatriement d’emplois aux Etats-Unis, comme le soulignait il y a peu une étude de la Cnuced. Les taxes imposées de part et d’autre (sur 360 milliards de dollars de produits chinois et 188 milliards de produits américains) restent en place, et sont transférées sur les consommateurs. La seule vraie bonne nouvelle est que cet accord offre une accalmie nécessaire aux marchés après les incertitudes déstabilisant le commerce mondial provoquées par… les Etats-Unis.
Reste la question: qu’a gagné Donald Trump? L’essentiel, c’està-dire un slogan de campagne résumable en un tweet: «Deux cents milliards pour les travailleurs américains, payés par la Chine. L’Amérique est de nouveau grande!» C’est simple, pas vraiment faux, mais en bonne partie absurde. C’est une logique purement électoraliste, comme l’a résumé à son arrivée à Washington, jeudi, le commissaire européen au Commerce, Phil Hogan. «Si l’on regarde le détail de l’accord, nous avons toujours 20% de taxes des deux côtés. Ce ne sera bon ni pour la compétitivité, ni pour l’emploi, ce qui était l’objectif du président Trump», a-t-il déclaré, avant d’ajouter: «Dans le court terme, cela pourrait fonctionner entre maintenant et novembre. Comme politicien, je sais parfaitement comment cela fonctionne…» L’an prochain, que Trump soit réélu ou non, la guerre commerciale repartira de plus belle, la Chine n’ayant au mieux tenu que partiellement ses promesses, et la question centrale de l’accès aux marchés et des subventions d’Etat n’étant pas résolue.
En attendant, Pékin peut se féliciter d’un accord à bon prix et les Européens se soucier d’être la prochaine cible d’un Trump en campagne (et subsidiairement de faire les frais de l’accord sino-américain). Comme l’expliquait récemment l’économiste Paul Krugman dans le New York Times, «il peut être payant, en termes de stratégie politique, de faire des choses stupides un moment, puis d’arrêter de le faire un an avant une élection, ce qui est un bon résumé de l’action commerciale de Trump». Il y a juste un problème pour les Etats-Unis: «Ses alliés ne lui font plus confiance et ses rivaux ne le craignent plus.» L’accord commercial signé avec Pékin cette semaine est donc bien une victoire pour Donald Trump. Mais aussi une défaite pour les Etats-Unis.
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L’an prochain, que Trump soit réélu ou non, la guerre commerciale repartira de plus belle