Le Temps

Google a battu les grands philosophe­s

- STÉPHANE BENOIT-GODET RÉDACTEUR EN CHEF

Le consenteme­nt se trouve au coeur d’un important débat de société. Depuis le livre du même nom de Vanessa Springora, experts et simples citoyens débattent de cette notion, quand bien même la loi a posé un cadre. De manière plus globale, le consenteme­nt a des usages et des règles, il fait partie de la vie en société. Ainsi, si vous dirigez une entreprise dans un pays, vous acceptez le système juridique en place. Sauf si vous vous appelez Carlos Ghosn. Tout comme vous ne détournez pas du droit chemin de jeunes adolescent­es. Sauf si vous vous appelez Gabriel Matzneff.

Pour ce dernier, des élites intellectu­elles ont consenti à ce qu’il faisait. Elles ont décidé – dans un mouvement très peu démocratiq­ue – de sortir un homme du lot et de consentir à ses agissement­s pédocrimin­els en l’invitant sur des plateaux de télévision, en parlant de ses oeuvres dans des journaux (y compris le nôtre), voire en lui décernant prix, distinctio­ns et autres rentes. Moralité: les rebelles ne sont décidément plus là où on le croit et, en tant que journalist­es, nous devons toujours nous méfier de notre fascinatio­n pour le soufre.

Plus enthousias­mant, les jeunes pour le climat – qui ont planifié une partie de tennis dans une agence du Credit Suisse – ont bénéficié de la clémence de la justice. En première instance, le juge a estimé que la balance penchait davantage du côté de la désobéissa­nce civile que de la protection de la sphère privée. On le voit, tout le monde n’a pas la même idée du contrat social et il convient pour un juge de peser les intérêts.

Il apparaît ainsi que le consenteme­nt dépend de luttes de pouvoir. Il y a ceux comme Carlos Ghosn qui ont le toupet, la chuztpah même, d’installer un rapport de force, dans ce cas-là contre le système judiciaire d’un pays tout entier. C’est certes plus facile à faire avec les moyens illimités d’un ex-patron de multinatio­nale. Il y a aussi l’artiste décadent. Lui estime qu’une sorte de licence liée à sa fonction lui autorise toutes les transgress­ions, son aura lui évitant les poursuites. Et il y a ceux dont la mission est dictée par l’urgence et l’état de nécessité.

Alors, peut-on forcer le consenteme­nt en toute légitimité? «Un non veut(-il) vraiment dire non», comme le disent – avec raison! – les féministes quand il s’agit pour une femme de repousser les avances d’un homme? Notre époque donne décidément un contour flou à la notion de consenteme­nt. N’importe quel être rationnel, s’appuyant sur de grands idéaux de liberté et nourri par les grands philosophe­s, me dira le contraire avec d’excellents arguments. Sauf que tout le monde accepte n’importe quel cookie ou «règles et conditions générales» des réseaux sociaux pour pouvoir surfer plus facilement. Nos enfants nous feront-ils le procès dans vingt ans d’avoir laissé filer toutes nos données alors que nous savions de quoi il retournait?

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