Justice pour le climat
Désastre judiciaire? A la fin d’un procès, c’est généralement celui de la justice qui commence. En mettant les 12 activistes climatiques au bénéfice de l’état de nécessité licite pour leur occupation des locaux de Credit Suisse (CS), le tribunal de Renens a certes ouvert une brèche importante en faveur de la reconnaissance de la désobéissance civile, comme l’a relevé Fati Mansour dans les colonnes du Temps. C’est désormais au président du tribunal, Philippe Colelough, de devoir répondre de l’accusation d’avoir rendu un jugement politique, selon le député Philippe Nantermod et la NZZ. Laquelle annonçait déjà un retour de bâton de la part du parlement.
Il n’empêche, ce premier jugement en Suisse en faveur des militants de l’environnement marque de manière spectaculaire la reconnaissance du climat comme sujet de droit. A bien des égards, et toutes proportions gardées, il renvoie à la décision historique de la Cour suprême de Colombie rendue en avril 2018 rappelant au gouvernement son devoir de protéger la forêt amazonienne. Un jugement qui met l’Amazonie au bénéfice de droits juridiques et de protection en vertu de la loi. En Europe, c’est la Cour suprême des Pays-Bas qui, par un arrêt historique lui aussi, vient de confirmer en décembre l’obligation de l’Etat de réduire de manière urgente et significative les émissions de gaz à effet de serre. On verra si, au final, le Tribunal fédéral suisse ira jusqu’à s’en inspirer lorsqu’il aura à statuer sur un inévitable recours dans l’affaire du CS. La prochaine occasion pourrait lui être fournie par le recours des Aînées pour la protection du climat, déboutées une première fois par le Département fédéral de l’environnement puis par le Tribunal administratif fédéral dans la reconnaissance de leur droit à la santé et à la vie.
Qu’il faille s’en féliciter ou le dénoncer, la réalité c’est que désormais un peu partout à travers le monde, de la Colombie à la Norvège, en passant par le Pérou, la France, l’Autriche, l’Allemagne ou la Belgique, c’est sur le terrain du droit et des tribunaux que la lutte en faveur du climat s’est élargie. Il s’agit de s’appuyer sur le droit des personnes pour faire reconnaître l’urgence climatique. Il en découle dans certains Etats une représentation juridique de la nature en tant que personne. Cette manière de demander des comptes aux gouvernements, aux banques ou aux multinationales est la conséquence directe de l’inertie et de l’inaction des politiques. L’échec retentissant de la COP25 à Madrid, la plus longue de l’histoire de ce rendez-vous environnemental des nations, ne fait qu’enfoncer le clou. Le seuil de tolérance face aux engagements non tenus est un peu partout dépassé. Cette extension du domaine de la lutte confronte désormais directement les juges aux parlements et aux gouvernements. L’enjeu est de savoir désormais auquel des deux pouvoirs, judiciaire ou politique, revient la responsabilité de définir ce que doit être un bien commun supérieur. Dans cette épreuve de force confrontant les juges à un rôle politique, l’équilibre des pouvoirs sera fatalement modifié, prophétisait cette semaine, sur France Culture, Judith Rochfeld, auteure de Justice pour le climat (Editions Odile Jacob). Puisque en matière de climat, le désastre est d’abord politique.
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