Idlib, noyée sous les bombes
Les villes sont rasées les unes après les autres par les bombardements russes et syriens, les réfugiés se comptent par centaines de milliers: la Turquie semble près de déclarer forfait
Khan Cheikhoun, 52000 habitants avant la guerre? La ville est presque entièrement rasée, transformée maintenant en un amas de ruines. Maarat al-Numan, environ 80000 habitants (dont 20000 réfugiés qui avaient fui d’autres combats)? En miettes, elle aussi, alors que l’armée syrienne n’y est même pas encore entrée. Ariha, encore, et les 40000 personnes qui s’y trouvent? Soumise à des bombardements russes et syriens incessants, elle est en train de suivre le même chemin. Le sort d’Idlib, du nom de cette région du nord-ouest de la Syrie qui échappe encore au contrôle de Damas, est en voie d’être «réglé», dans le sang, dans la honte, et dans la quasi-indifférence générale.
Sortant un peu de son silence, la Haut-Commissaire aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, évoquait un bilan de 1506 civils tués, dont 433 enfants, depuis le printemps dernier. Ces victimes comprennent aussi 75 civils tués dans les zones contrôlées par les forces loyales au gouvernement de Damas, c’est-à-dire 5 % du total, prenait soin de préciser la haut-commissaire. La responsable de l’ONU rappelait dans un communiqué l’une des dernières tueries en date : c’était jeudi, jour du marché aux légumes. Les bombes se sont abattues sur les étals, tuant au moins 15 personnes et en blessant une soixantaine. Auparavant, c’étaient les écoles, les maisons, les lieux de travail qui avaient été visés dans cette «violence insensée».
Une aggravation encore possible
Malgré un prétendu cessez-lefeu annoncé par la Russie il y a une semaine, la situation donne tous les signes de vouloir encore s’aggraver. Vendredi, les forces russes et l’armée syrienne semblaient ainsi déterminées à ouvrir un nouveau front plus au nord, aux abords de la ville d’Alep. Pris en tenaille, voyant se réduire encore davantage leurs chances de survie, des milliers de Syriens supplémentaires sont allés rejoindre les quelque 300000 fuyards qui s’entassent déjà dans des camps surpeuplés à la frontière de la Turquie.
Officiellement, cette région est toujours qualifiée de «zone de désescalade» dans le jargon cynique qui accompagne depuis des années la guerre syrienne. Le pire est donc encore à redouter, à mesure que s’approche la future «escalade».
Le pouvoir de Damas n’a jamais fait mystère de sa volonté de reconquérir militairement Idlib, où sont désormais regroupés 3 millions de Syriens et où se concentrent quelque 30000 combattants appartenant à divers groupes djihadistes ainsi qu’à ce qui reste de l’Armée syrienne libre. Mais derrière cette volonté de reconquête se cache aussi une sorte de guerre indirecte entre la Turquie et la Russie. «Les derniers développements à Idlib sont fâcheux», estimait vendredi le président turc, Recep Tayyip Erdogan, en promettant d’en débattre avec son alter ego russe Vladimir Poutine.
«Fâcheux», en effet. Ne serait-ce qu’en raison du fait que, ces dernières semaines, un deuxième théâtre de guerre est venu se superposer à la Syrie. La Turquie a en effet décidé de déployer en Libye plusieurs centaines de combattants de la rébellion syrienne, transformés en purs mercenaires. En Syrie, la Turquie dispose d’une douzaine d’avantpostes militaires, dont au moins un est aujourd’hui assiégé. Or elle ne semble pas loin de déclarer forfait, au risque d’offrir en pâture la population d’Idlib.
Un renouement turco-syrien
Cette semaine, pour la première fois depuis des années, Ankara a accepté de renouer avec les responsables de la Syrie de Bachar el-Assad, avec laquelle les relations sont coupées depuis 2012. Ainsi, sous les bons auspices de la Russie, les chefs des services secrets des deux pays se sont rencontrés, faisant exulter la presse officielle syrienne : «La Turquie est en chemin pour reconnaître pleinement la souveraineté de la République arabe syrienne», triomphait l’agence Sana, en prédisant que cette rencontre annonçait la «libération» d’Idlib et le retour de la région sous l’autorité de l’Etat.
Cité par la presse turque, Alan Makovsky, un officiel américain naguère chargé de la Turquie au Département d’Etat, partageait cette opinion: «La Russie est désormais le seul arbitre en Syrie, et la Turquie n’a pratiquement plus de marge de manoeuvre. Cette rencontre est, sans doute, le premier pas d’un retrait militaire turc de Syrie.»
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