Les polices musclent la traque aux cybercriminels
SÉCURITÉ Après des années de quasi-impunité, les escrocs du web doivent faire face à un nouveau chien de garde intercantonal: PICSEL. La base de données aura fort à faire pour contrer l’explosion des arnaques en ligne
«La nouvelle génération de malfaiteurs ne sait plus forcément ce qu’est un pied-de-biche mais connaît parfaitement le fonctionnement d’un ordinateur», résume Alexandre Girod, chef de la Police judiciaire vaudoise. Or, précise-t-il, jusqu’en 2017, il n’existait aucune coordination entre cantons pour pister les malfrats en ligne de manière efficace. Nullement inquiétés par les forces de l’ordre, les brigands numériques ont alors les coudées franches et les arnaques en tout genre s’accumulent. Il fallait agir. La réponse policière est enfin arrivée: PICSEL, en exploitation depuis le début de l’année. De quoi parle-t-on exactement?
L’augmentation de la cybercriminalité
Acronyme faisant référence à l’unité de base d’une image numérique, le mot désigne la nouvelle Plateforme d’information de la criminalité sérielle en ligne des polices romandes, bernoise et tessinoise. Lancée en 2017 dans le cadre d’un nouveau concordat romand des polices judiciaires, «cette approche intercantonale arrive à point nommé pour répondre à un phénomène en pleine expansion, indique Alexandre Girod: la probabilité d’être l’objet de cybercriminalité est désormais la même que d’être victime de criminalité standard». Ce qui s’explique, selon lui, par plusieurs facteurs.
«D’une part, il est moins risqué d’opérer depuis son ordinateur que d’agir en pleine rue. D’autre part, la société change et de plus en plus de gens sont isolés, notamment des personnes âgées aux connaissances informatiques moindres. Nous savons d’ailleurs que les chiffres dont nous disposons sont bien inférieurs à la réalité car les victimes ont souvent honte d’avouer qu’elles se sont fait avoir. Enfin, internet permet bien sûr d’agir depuis n’importe où.» Ce qui est commode, mais pas intraçable. Surtout dans le cas de «séries», point focus de PICSEL.
«L’escroc était dans un cybercafé béninois»
«Dans le cas d’escroqueries à grande échelle, PICSEL permet de recouper les traces laissées en ligne par un arnaqueur en provenance de tous les cantons parties au projet. Auparavant, chaque police avait son fichier, maintenant tout est centralisé.
Cela permet d’amasser davantage de preuves, ce qui nous permet de remonter plus facilement une piste.» Différentes exactions commises dans plusieurs cantons remontent par exemple au même compte en banque? PICSEL entre en jeu. Et l’étau se resserre.
Toutefois, comment faire si le malfrat opère depuis l’étranger? «Il nous est déjà arrivé de remonter jusqu’à un cybercafé au Bénin, répond le policier. Dans ce cas, une commission rogatoire est possible. Cela complique évidemment les choses, mais l’Etat d’où provient l’extorsion y trouve souvent son compte.» Dans cet exemple, un escroc aux petites annonces sur Anibis.ch avait amassé assez d’argent pour acheter des biens immobiliers, que l’Etat a pu récupérer au moment de son arrestation – tout en éliminant une menace récurrente pour les internautes romands.
«Les criminels ont pris un temps d’avance»
Si l’on entend régulièrement parler des arnaques en provenance de l’étranger, la criminalité est par ailleurs souvent indigène. «Le phénomène de la langue joue un rôle important, souligne Julien Cartier, chef de la brigade vaudoise chargée de l’analyse des traces technologiques. Les gens repèrent plus vite une entourloupe si l’orthographe est déplorable.» La police observe que les cybercriminels agissent par ailleurs régulièrement des deux côtés de l’écran depuis le même endroit, comme lorsque des objets dérobés lors d’un vol à l’étalage à Lausanne apparaissent quelques heures plus tard sur un site de revente régional. En développement, la plateforme est toujours imparfaite mais les résultats «sont encourageants».
«Les criminels ont pris un temps d’avance, reconnaît Alexandre Girod. Mais les policiers romands sont de mieux en mieux formés pour tisser des liens du réel au virtuel, le nombre de «séries» criminelles identifiées grâce à PICSEL est en pleine expansion et la plateforme régionale pourrait bien s’agrandir. «Le projet a été présenté plusieurs fois en Suisse alémanique, confirme Bertrand Schnetz, chef de la Police judiciaire jurassienne et coordinateur du projet en Suisse romande. Et les réactions sont bonnes. Si les résultats continuent d’être à la hauteur, nous espérons bien pouvoir réunir toutes les traces numériques dans une seule base de données au niveau national. Berne, Zurich, Argovie et Zoug sont déjà intéressés.» Les mystérieux héritiers en quête d’argent pour débloquer une somme retenue sur un compte à l’étranger n’ont qu’à bien se tenir. ▅