Les panneaux féminins de la discorde
Dans les médias et sur les réseaux sociaux, l’opération de la ville ne fait pas l’unanimité
Une déferlante médiatique en Suisse et à l’étranger à laquelle s’ajoutent des centaines de commentaires haineux sur les réseaux sociaux. A Genève, les nouveaux panneaux de signalisation féminisés ne sont pas passés inaperçus. «Gaspillage d’argent public», «fausse bonne idée»: les critiques s’amoncellent pour dénoncer l’opération qui a coûté 56000 francs. «En treize ans de politique, j’ai rarement eu autant de réactions violentes, misogynes et conservatrices pour un projet qui s’inscrit dans un large plan de lutte contre le sexisme», confie la maire Sandrine Salerno. Preuve, selon elle, qu’il est d’autant plus nécessaire.
Interrogée outre-Sarine, mais aussi par France 3 et France Inter, la magistrate persiste à croire qu’une meilleure inclusion des femmes dans l’espace public passe aussi par des symboles. «Au-jourd’hui, la démarche paraît scandaleuse, mais dans deux ans, d’autres communes nous imiteront et dans dix, ce sera perçu comme normal. En matière d’égalité, dès que vous questionnez des normes pour conquérir un nouvel espace, cela dérange. Heureusement, les mentalités évoluent, on l’a vu sur les inégalités salariales.»
Tout le monde n’est pas de son avis, hommes et femmes confondus. La députée d’Ensemble à gauche Salika Wenger juge la démarche «grotesque, inutile et coûteuse»: «En genrant les panneaux de manière caricaturale, on produit une nouvelle discrimination. La silhouette qui traverse est celle d’un être humain, personne ne s’est jamais demandé si c’était un homme.» D’autres sujets sont en revanche prioritaires à ses yeux comme l’égalité salariale ou l’accès facilité à des appartements pour les familles monoparentales.
Idéal de neutralité
Ana Roch, ex-présidente du MCG, abonde dans son sens. «Il y a des gens qui n’arrivent pas à boucler leurs fins de mois et la ville jette ainsi de l’argent par les fenêtres?» Plus que le coût, c’est le «statut de victime» qui déplaît à l’élue. «Autant je soutenais l’opération pour féminiser le nom des rues, autant je trouve que la ville se ridiculise en voulant faire porter le poids du sexisme à des panneaux génériques qui ne dérangent personne.» Il aurait mieux valu, selon elle, investir davantage dans l’éducation et la prévention, plutôt que dans des «opérations cosmétiques».
Ouvrir le spectre de la diversité comporte le risque de ne contenter personne, c’est l’une des réserves avancées par le PLR Murat Julian Alder. «Ces panneaux sont tout à la fois sympathiques et absurdes. A force de vouloir faire de l’inclusion, on exclut davantage. Il y aura toujours des personnes qui se sentiront non représentées, j’invite la ville à compléter sa panoplie avec des hommes avec poussette, ou guitare sous le bras.» En définitive, l’idéal de neutralité semble l’emporter. «Le panneau officiel, bien qu’austère, représente à mes yeux un humanoïde, homme, femme, non binaire. L’identité de genre ne dépend pas que de la tenue ou des attributs. »
Sur la forme la validité des nouveaux panneaux est mise en cause par des internautes. A ce titre, l’Office fédéral des routes rappelle que l’ordonnance sur la signalisation routière décrit et définit les panneaux de signalisation ainsi que leur emplacement. «On ne peut théoriquement pas les modifier, ajoute son porte-parole, Guido Bielmann. Toutefois, la Convention de Vienne sur la circulation routière souligne qu’un signal routier doit être compris immédiatement par tous les usagers. Sa taille, sa forme ses couleurs ne peuvent pas être altérées. En revanche, la modification des personnages n’influence pas la compréhension d’un panneau de signalisation. Le cas qui se présente à Genève est donc possible.» ▅