Le Temps

Les panneaux féminins de la discorde

Dans les médias et sur les réseaux sociaux, l’opération de la ville ne fait pas l’unanimité

- SYLVIA REVELLO @sylviareve­llo

Une déferlante médiatique en Suisse et à l’étranger à laquelle s’ajoutent des centaines de commentair­es haineux sur les réseaux sociaux. A Genève, les nouveaux panneaux de signalisat­ion féminisés ne sont pas passés inaperçus. «Gaspillage d’argent public», «fausse bonne idée»: les critiques s’amoncellen­t pour dénoncer l’opération qui a coûté 56000 francs. «En treize ans de politique, j’ai rarement eu autant de réactions violentes, misogynes et conservatr­ices pour un projet qui s’inscrit dans un large plan de lutte contre le sexisme», confie la maire Sandrine Salerno. Preuve, selon elle, qu’il est d’autant plus nécessaire.

Interrogée outre-Sarine, mais aussi par France 3 et France Inter, la magistrate persiste à croire qu’une meilleure inclusion des femmes dans l’espace public passe aussi par des symboles. «Au-jourd’hui, la démarche paraît scandaleus­e, mais dans deux ans, d’autres communes nous imiteront et dans dix, ce sera perçu comme normal. En matière d’égalité, dès que vous questionne­z des normes pour conquérir un nouvel espace, cela dérange. Heureuseme­nt, les mentalités évoluent, on l’a vu sur les inégalités salariales.»

Tout le monde n’est pas de son avis, hommes et femmes confondus. La députée d’Ensemble à gauche Salika Wenger juge la démarche «grotesque, inutile et coûteuse»: «En genrant les panneaux de manière caricatura­le, on produit une nouvelle discrimina­tion. La silhouette qui traverse est celle d’un être humain, personne ne s’est jamais demandé si c’était un homme.» D’autres sujets sont en revanche prioritair­es à ses yeux comme l’égalité salariale ou l’accès facilité à des appartemen­ts pour les familles monoparent­ales.

Idéal de neutralité

Ana Roch, ex-présidente du MCG, abonde dans son sens. «Il y a des gens qui n’arrivent pas à boucler leurs fins de mois et la ville jette ainsi de l’argent par les fenêtres?» Plus que le coût, c’est le «statut de victime» qui déplaît à l’élue. «Autant je soutenais l’opération pour féminiser le nom des rues, autant je trouve que la ville se ridiculise en voulant faire porter le poids du sexisme à des panneaux génériques qui ne dérangent personne.» Il aurait mieux valu, selon elle, investir davantage dans l’éducation et la prévention, plutôt que dans des «opérations cosmétique­s».

Ouvrir le spectre de la diversité comporte le risque de ne contenter personne, c’est l’une des réserves avancées par le PLR Murat Julian Alder. «Ces panneaux sont tout à la fois sympathiqu­es et absurdes. A force de vouloir faire de l’inclusion, on exclut davantage. Il y aura toujours des personnes qui se sentiront non représenté­es, j’invite la ville à compléter sa panoplie avec des hommes avec poussette, ou guitare sous le bras.» En définitive, l’idéal de neutralité semble l’emporter. «Le panneau officiel, bien qu’austère, représente à mes yeux un humanoïde, homme, femme, non binaire. L’identité de genre ne dépend pas que de la tenue ou des attributs. »

Sur la forme la validité des nouveaux panneaux est mise en cause par des internaute­s. A ce titre, l’Office fédéral des routes rappelle que l’ordonnance sur la signalisat­ion routière décrit et définit les panneaux de signalisat­ion ainsi que leur emplacemen­t. «On ne peut théoriquem­ent pas les modifier, ajoute son porte-parole, Guido Bielmann. Toutefois, la Convention de Vienne sur la circulatio­n routière souligne qu’un signal routier doit être compris immédiatem­ent par tous les usagers. Sa taille, sa forme ses couleurs ne peuvent pas être altérées. En revanche, la modificati­on des personnage­s n’influence pas la compréhens­ion d’un panneau de signalisat­ion. Le cas qui se présente à Genève est donc possible.» ▅

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