Le Temps

La durée pour éprouver l’horreur

- PAR STÉPHANE GOBBO @StephGobbo

◗ Je connaissai­s la guerre de Cent Ans et celle des Six-Jours. Je n’avais par contre pas entendu parler, avant une rapide recherche sur internet, de la guerre de quatre-vingts ans qui déchira les Pays-Bas aux XVIe et XVIIe siècles, ni de la Guerre des dix ans que vécut Cuba à partir de 1868. Lorsqu’on évoque un conflit, on aime en connaître la durée, faute de pouvoir toujours en maîtriser les tenants et les aboutissan­ts. Ce n’est pas pour rien que les deux grands conflits mondiaux du XXe siècle sont souvent évoqués par les simples 14-18 et 39-45.

Le cinéma a toujours eu ce fantasme de rendre la guerre perceptibl­e. Avec Les Sentiers de la gloire, Kubrick dénonçait en 1957 l’absurdité de certains ordres. A trente-six ans d’intervalle, Le Jour le plus long (1962) et Il faut sauver le soldat Ryan (1998) tentaient de leur côté d’immerger le spectateur au coeur du débarqueme­nt de juin 1944. Les deux sont devenus des jalons, le second atteignant même, grâce à l’habileté de Spielberg, un degré de réalisme rare.

Le film de guerre a ceci de paradoxal que, à l’exception des oeuvres de propagande, il dénonce ce qu’il montre. Dans Voyage au

bout de l’enfer (1978), Cimino racontait le trauma des vétérans, tandis que Kubrick, encore lui, filmait dans Full Metal Jacket

(1987) l’enfer que sont déjà les camps d’entraîneme­nt. Sombres prémices à une perte de repères et des valeurs menant à une folie qui sera au coeur, d’Apocalypse Now (1979) à

Platoon (1986), de nombreux longs métrages. Au milieu des années 2000, Sam Mendes adaptait les mémoires d’un jeune Américain ayant participé à la première guerre du Golfe. Jarhead le voyait signer un film d’inaction faisant de sa dimension anti-spectacula­ire une autre manière de démonter les enjeux géopolitiq­ues poussant des gouverneme­nts à se lancer dans d’aberrantes campagnes. Voici qu’il renoue avec le film de guerre. Depuis quelques jours, 1917 est salué à la lumière de sa virtuosité technique, un long plan-séquence permettant au spectateur de coller aux bottes de deux caporaux partant risquer leur vie pour en sauver 1600 autres lors d’une mission quasi impossible. 1917, c’est le débarqueme­nt d’Il faut sauver

le soldat Ryan poussé à son paroxysme. La notion de réalisme y est centrale puisque l’histoire est donc racontée en temps réel. Mendes s’arrête de facto sur des péripéties qui, si elles ne font pas à proprement parler avancer le récit, permettent d’éprouver physiqueme­nt l’horreur de la guerre, là où la plupart des titres cités misaient sur une approche psychologi­que.

Et ça, seul le septième des artsen est capable.

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