La prohibition, ce ratage qui nourrit la fiction
◗ C’est une imagerie bien rodée, de crapules au feutre vissé sur la tête, de policiers à gilet, de mitraillettes à camembert et de fusillades dans les rues désertées par des citadins terrés chez eux. Des films noirs des années 1940 à Peaky
Blinders, la prohibition a constitué un formidable moteur dans la fabrication d’un imaginaire criminel, et fondateur, de l’Amérique moderne. Cela fait cent ans qu’est entré en vigueur aux Etats-Unis un amendement de la Constitution qui interdisait la production et la vente d’alcool.
Justifié par les dérives de la fin du XIXe siècle, avec une explosion de l’éthylisme populaire, la mesure a tenu treize ans. Les spécialistes signalent que le bilan a été un désastre. La prohibition a fait bondir à la fois la conquête du pays par les mafias, la criminalité et la corruption à tous les niveaux.
Les séries ont ratissé le patrimoine historique et dramatique de cette période. La violence concrète de l’époque de la prohibition a inspiré les créateurs, depuis Quinn Martin et ses Incorruptibles, série dont la brutalité a choqué dans les années 1960.
Plus près de nous, il faut redire l’inoxydable qualité de
Boardwalk Empire, série sur la trajectoire d’un caïd financier d’Atlantic City que porte, superbement, Steve Buscemi. L’auteur Terence Winter, un ancien des Soprano, faisait commencer sa série (5 saisons, 56 épisodes) le 16 janvier 1920, jour d’entrée en vigueur de l’amendement. Dans le premier épisode de la saga, ce soir-là, on sable le champagne… Encore plus récemment, dans la cinquième saison de Peaky Blinders, qui se déroule en 1929, le clan Shelby découvre les juteuses occasions que représentent les gosiers à sec des Américains de la côte Est, juste de l’autre côté de l’Atlantique.
Aujourd’hui, alors que les experts – tels que le comité de l’ONU présidé par Ruth Dreifuss – s’époumonent à rappeler que la «guerre contre la drogue» est un échec, on ne peut qu’être frappé par la popularité des fictions sur ce thème, Narcos, El Chapo, Four Blocks, Squadra criminale et tant d’autres. Peut-être les séries racontent-elles un état de fait qui appartiendra, un jour, au passé.