DICKENS À LA FAÇON «PEAKY BLINDERS»
Le créateur de la série de truands de Birmingham, Steven Knight, adapte le célébrissime conte de Charles Dickens, «Un Chant de Nöel». Une option sombre, un peu lourde, comme une grosse bûche
◗ «Joyeux Noël!» à la manière
Peaky Blinders, ça donne «Merry F***ing Christmas», ont rigolé des médias anglo-saxons face à la dernière création de Steven Knight. Le créateur de la saga de brigands de Birmingham s’est attaqué au monumental A Christmas Carol
(Un Chant de Noël), de Charles Dickens, la fable dans laquelle le méchant, radin, égoïste et asocial M. Scrooge est emmené par trois esprits pour reconsidérer sa détestation des humains. Sans conteste, la version qu’en donne Steven Knight ne manque pas d’intérêt, mais il lui manque un air (divin?), un trait de génie, ou plus simplement un souffle de Noël.
L’entreprise rappelle Taboo, dont la deuxième saison arrivera d’ailleurs cette année: Steven Knight à l’écriture, Ridley Scott, Tom Hardy et le scénariste à la production, et la volonté d’afficher une distribution haut de gamme, dans ce cas Guy Pearce, Andy Serkis et Stephen Graham. Le réseau américain FX (Disney) produit avec la BBC. Celle-ci a diffusé les trois épisodes avant Noël; ici, sur Canal+, il a fallu attendre début janvier, ce qui constitue une fenêtre bizarrement décalée – ou un nouveau cadeau, selon le point de vue.
On commence par une pointe d’humour – il faut en profiter, il n’y en aura pas d’autre. Dans un Londres brumeux et glacial à souhait, un gamin vient uriner sur la tombe de Jacob Marley (Stephen Graham), le défunt associé de Scrooge dans leur étude de comptables. Six pieds sous terre, le macchabée bouillonne de colère puis crie, sans bien sûr être entendu: «Mais il est quand même écrit qu’il repose en paix! En paix!» Marley prend une certaine importance dans le récit puisque c’est lui qui, d’abord, rencontre le premier esprit (Andy Serkis, ex-Gollum), celui qui se penche sur le passé.
UNE INSTITUTION BRITANNIQUE
Dans son bureau sombre et froid, malgré le fait qu’il a octroyé une brique de charbon de plus à son employé Bob Cratchit (Joe Alwyn), un geste inouï, Ebenezer Scrooge (Guy Pearce) discourt sur la vacuité de Noël, l’hypocrisie de ce soudain moment de fraternité humaine, la duplicité de ces grandes retrouvailles familiales. Il retient son commis, lequel brûle de partir rejoindre femme et enfant pour le réveillon de Noël. Scrooge finit par le libérer, s’éternise au bureau puis revient dans sa maison, ingère son habituel gruau, s’endort et… se retrouve embarqué dans un sinistre périple dans son propre passé, face à sa cruauté présente, et devant ses douleurs futures. Préfacière de l’édition française au Livre de poche, Christine Huguet rappelle que le conte représente «une véritable institution nationale, alors même qu’il n’est parfois connu qu’à travers quelques morceaux de bravoure lus en classe», au point que «Charles Dickens incarne Noël».
L’incalculable nombre d’adaptations de l’oeuvre de Dickens pourrait pousser à relativiser l’entreprise: après tout, celle-ci en est une après tant d’autres, et avant bien d’autres. Mais cela fait quelque temps que le média TV ne s’était pas emparé du conte, et le prestige de Steven Knight accroît le poids de la démarche.
UNE ALLÉGRESSE ABSENTE
Dès lors, même si ce n’est pas la seule clé de lecture possible, on ne peut éviter de faire le lien avec le conte de 1843. Le scénariste s’est surtout exprimé pour défendre les éléments qu’il a ajoutés à l’intrigue; on peut commencer par regretter ce à quoi il a renoncé – l’humour, justement. Grave, pesante parfois, l’allégorie de Dickens a ses moments de bonhomie, d’allégresse parfois, avant la libération finale du personnage.
Steven Knight opte pour les ténèbres. Son conte de Noël a tout de la descente aux enfers. Il est d’ailleurs dès le début question de «rédemption», ce qui n’est pas exactement le cadre moral ou religieux de l’écrivain du XIXe siècle: Scrooge doit certes se racheter, mais c’est une conséquence de sa prise de conscience, non son moteur.
Le créateur de la désastreuse See (chez Apple) s’est également senti obligé d’intégrer des thématiques jugées actuelles, en particulier la pédophilie, ainsi qu’une touche d’allusions féministes. Le premier point, en particulier, pèse lourd sur la fable façon 2019, la lestant d’un pessimisme qui la ravage. Ce
Chant de Noël émane sans aucun doute de la fin des années 2010. C’est son mérite, et sa limite.
«A Christmas Carol», mini-série en trois épisodes disponible sur MyCanal.