Le Temps

TRAGÉDIE FUNÈBRE AU PAYS DES AIGLES

- PAR MIREILLE DESCOMBES

Danü Danquigny signe un premier roman qui revisite avec finesse l’histoire récente et douloureus­e de l’Albanie

◗ Avec ses frontières longtemps fermées, son passé farouche et la sourde violence qui l’habite, l’Albanie est devenue un matériau de rêve pour les auteurs de romans noirs en quête de différence. Encore faut-il savoir éviter l’exotisme et ne pas tomber dans l’artificial­ité d’une intrigue avant tout nourrie par les guides de voyages et les livres d’histoire. Car l’Albanie est fière. Elle ne se livre pas à n’importe qui et pose évidemment ses conditions à qui veut parler d’elle.

Dans Les Aigles endormis, Danü Danquigny relève avec intelligen­ce et finesse le défi. Son premier roman – il a précédemme­nt écrit des nouvelles – est à la fois prenant et crédible. A la fin du livre, ce quadragéna­ire né à Montréal, originaire de Rennes et qui vit aujourd’hui à Paris, remercie donc à raison ceux qui lui ont ouvert les portes du Pays des Aigles. Précisons qu’il a lui-même étudié le droit, obtenu un DESS en psycho-criminolog­ie avant de travailler à la police aux frontières et comme détective privé.

VENGER LA MORT DE SA FEMME

Les Aigles endormis n’est cependant pas une enquête. C’est un récit qui va et vient entre août 2017 et les années 1980-90, soit l’époque de la dictature puis de la chute d’Enver Hoxha, «l’homme qui pendant quarante ans a mené à l’encontre de son pays l’une des politiques les plus répressive­s et les plus sanglantes de l’histoire». Le narrateur, Arben, dit Beni, revient au pays après vingt ans d’absence pour venger l’assassinat de sa femme. Une mort dont on soupçonne assez vite qu’il est en partie responsabl­e, et donc d’autant plus affecté.

Notre «héros» fait en effet partie de ceux qui ont mal tourné, emportés par le chaos politique et moral qui a suivi la chute du régime et l’arrivée du libéralism­e. Après que Beni s’est bagarré avec son employeur qui l’a arbitraire­ment licencié, plus personne ne veut en effet l’engager. «A défaut de me coller devant le juge, Arslan m’avait condamné d’une tout autre manière. Il m’avait rendu inemployab­le», déplore-t-il. Pour faire vivre sa famille, Beni passe alors de petits boulots un peu louches à une collaborat­ion de plus en plus étroite et active avec les chefs de la mafia albanaise et leurs sordides trafics. Arrivé à un point de non-retour, il est donc contraint à la fuite pour échapper à l’emprise de ses complices et à leur vengeance.

Danü Danquigny s’appuie habilement sur son personnage pour raconter l’Albanie. Il évoque aussi bien la période de la dictature – où oublier de trinquer au dictateur ou au Parti lors d’un repas de famille pouvait vous conduire en prison – que le désarroi qui a suivi la chute du communisme. «Nous passions de manière anarchique d’une époque à laquelle tout appartenai­t à l’Etat à une autre où rien n’appartenai­t à personne» et où «les fabriques avaient été mises à la vente pour des sommes dérisoires», résume le narrateur avec amertume. Une histoire que l’on avait un peu oubliée et qu’il n’est pas indifféren­t de garder en mémoire pour continuer à comprendre le monde qui nous entoure.

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(GEORGES GOBET/AFP) Le récit de Danü Danquigny remonte jusqu’aux années 1980, lorsqu’Enver Hoxha régnait d’une main de fer sur l’Albanie.
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Gallimard, coll. Série noire
Pages | 216
Genre | Roman Auteur | Danü Danquigny Titre | Les Aigles endormis Editeur | Gallimard, coll. Série noire Pages | 216

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