L’INEXORABLE CHUTE D’UN PUISSANT
Seth Greenland met en scène la descente aux enfers d’un homme d’affaires new-yorkais pris dans les filets de la justice et de l’hyper-médiatisation. Un roman implacable sur les dérives de l’Amérique contemporaine
◗ A sa sortie aux Etats-Unis en 2018, Mécanique de la chute (The Hazards of Good Fortune) a été comparé au Bûché des vanités de Tom Wolfe. Si le cinquième roman de Seth Greenland n’a pas l’étoffe du best-seller paru en 1987, c’est néanmoins un livre remarquable, également situé à New York, non plus durant les années 1980 sous l’ère Reagan mais pendant les années 2010, sous l’ère Obama.
EMPIRE IMMOBILIER
Contrairement au Bûché des vanités, Mécanique de la chute ne fait pas de New York le véritable sujet du livre et son héros principal, Jay Gladstone, n’a pas l’arrogance du héros de Tom Wolfe, Sherman McCoy, golden boy de Wall Street autoproclamé «Maître de l’Univers». A part cela, les points communs sont nombreux: l’histoire d’une dégringolade d’un homme blanc et riche, provoquée par le même incident (un Noir renversé par une voiture), l’acharnement médiatique et judiciaire, sur fond de tensions raciales, d’inégalités et d’injustices, la critique sociale et la satire sur le culte du pouvoir et de l’argent.
La cinquantaine, homme droit à l’élégance discrète, petit-fils d’un immigré juif venu d’Europe de l’Est, Jay Gladstone est à la tête d’un empire immobilier hérité de son père et de son oncle. Membre du Parti démocrate et philanthrope, il vit dans une somptueuse demeure au nord de New York. Il est aussi propriétaire d’une équipe de basketball de la NBA. Trois autres personnages gravitent autour de Jay: sa fille Aviva, née d’un premier mariage, étudiante et activiste de gauche; D’Angelo «Dag» Maxwell, star de la NBA, joueur le mieux payé de l’équipe de Jay; et Christine Lupo, procureure de banlieue qui veut devenir gouverneure de l’Etat de New York. Ajoutons encore Nicole, la deuxième épouse, ainsi que sa soeur Bebe et le cousin Franklin, ces deux derniers étant associés dans l’entreprise familiale.
Et soudain tout se grippe dans la mécanique pourtant bien huilée qu’était jusque-là la vie de Jay. Dag le basketteur veut renégocier son contrat à la hausse; Nicole, alcoolique, veut un enfant; le cousin Franklin est soupçonné de détourner l’argent de la société; Jay découvre qu’Aviva est lesbienne et qu’elle sort avec une Afro-Américaine; un policier blanc tue un homme noir et musulman dans une résidence de Jay et fait les gros titres des médias.
«L’ÈRE DES VICTIMES»
Nous sommes en 2012, quelques mois après l’affaire médiatisée du meurtre en Floride du jeune Trayvon Martin. Le président Barack Obama fait campagne pour un second mandat sans que cela apaise les conflits raciaux. Une phrase sortie de son contexte («Pourquoi faut-il que tout le monde couche avec des Noirs dans cette famille?») et les fake news qui infestent les réseaux sociaux vont précipiter la chute de Jay Gladestone. Il s’attire les foudres des communautés noire et musulmane. Même la NBA se ligue contre lui.
Seth Greenland décortique avec ironie les limites du politiquement correct à l’heure de l’hyper-médiatisation. «Comprenez bien que les temps ont changé, Jay. Plus personne ne s’intéresse aux tragédies des rois», lui dit son conseiller personnel. Allusion aux codes des années 1990 sous l’ère Clinton auxquels Jay s’accroche toujours mais qui ne fonctionnent plus en 2012, à «l’ère des victimes». Lui-même est persuadé d’en être une, rôle que la société lui refuse.
Les personnages, trop stéréotypés au début, prennent ensuite de l’épaisseur grâce aux dialogues et aux monologues intérieurs, entre introspection, mauvaise conscience et remises en question. Ecrit au présent, dans un style direct, parfois trop basique, le lecteur est emporté par les rouages et les rebondissements de cette Mécanique de la chute, roman sans concession sur l’état actuel de la politique américaine, sur la question raciale et sur les dérives de l’ultra-médiatisation.