Le Temps

L’affaire des voyages en Russie a jeté un froid entre Eric Hoesli et Tamedia

- YAN PAUCHARD @YanPauchar­d

JUSTICE Organisate­ur de périples en Sibérie qui ont défrayé la chronique, l’ancien journalist­e Eric Hoesli a lancé une action civile pour atteinte à la personnali­té au printemps 2019 contre le quotidien «24 heures», dont il fut le directeur. Une informatio­n restée secrète pendant près d’une année tant l’affaire est délicate pour les différents protagonis­tes

Les révélation­s entourant l’affaire des voyages en Russie d’élus romands, en compagnie, entre autres, du milliardai­re Frederik Paulsen, ne cessent de provoquer des vagues. L’affaire avait pris une tournure juridique le 3 avril 2019, lorsque l’homme d’affaires suédois avait chargé ses avocats d’ouvrir une action civile contre le groupe de presse Tamedia à Zurich, à la suite d’une série d’articles, et en particulie­r d’une vaste enquête parue au mois de février dans 24 heures (propriété de Tamedia, tout comme la Tribune de Genève ou Le Matin Dimanche).

Ce n’est cependant pas la seule procédure qui a été lancée à ce moment-là, à la suite de cette publicatio­n. Il y en a eu une deuxième, mais qui, jusqu’ici, pendant près d’une année, est passée complèteme­nt sous les radars. Peutêtre parce qu’elle est particuliè­rement délicate.

«Je ne suis pas un homme public»

En effet, Le Temps a appris que l’organisate­ur des voyages, l’écrivain et ex-journalist­e Eric Hoesli, a également lancé, de son côté, au printemps 2019, une procédure civile pour atteinte à la personnali­té devant la justice vaudoise. L’action vise spécifique­ment 24 heures. «J’ai ouvert une action dans la foulée de l’article», confirme Eric Hoesli, ajoutant que, contrairem­ent à Frederik Paulsen, il n’avait alors pas souhaité communique­r. «Je n’ai jamais rien voulu cacher, se défend-il. Je n’ai pas non plus cherché à en faire de la publicité. Je ne suis pas un homme public. Je n’y voyais pas d’intérêt.»

Cependant, Eric Hoesli est loin d’être un citoyen lambda. Ancien rédacteur en chef du magazine L’Hebdo, premier directeur-rédacteur en chef du quotidien Le Temps, qu’il a contribué à créer en 1998, le Vaudois est un personnage incontourn­able du paysage médiatique romand. Mais surtout, il fut le directeur des publicatio­ns romandes de Tamedia; un poste dont il démissionn­a de manière fracassant­e en octobre 2013 après d’importante­s divergence­s avec la direction basée à Zurich.

Un groupe qu’aujourd’hui Eric Hoesli attaque en justice, s’estimant lésé par l’enquête de 24 heures. «Le fait que je sois parti en mauvais termes n’a rien à voir avec cette action en justice, souligne-t-il. L’article en question a porté gravement atteinte à mon honneur, des éléments étaient faux ou présentés uniquement à charge.»

Pour comprendre le conflit qui oppose aujourd’hui Eric Hoesli à son ancien employeur, il faut remonter au 26 juin 2018. Le correspond­ant romand de Tamedia, Philippe Reichen, révèle alors toute une série de voyages effectués depuis 2007 par des personnali­tés romandes en Russie, plus particuliè­rement en Sibérie, organisés et guidés par l’ancien directeur de publicatio­n, russophile et auteur d’ouvrages sur l’histoire du pays. Lors de ces périples, on retrouve des politicien­s d’envergure (Pascal Broulis, Géraldine Savary, Isabelle Chassot, François Longchamp, Pascal Couchepin…), mais aussi des personnali­tés du monde scientifiq­ue (l’ex-président de l’EPFL Patrick Aebischer, l’ancien secrétaire d’Etat à la recherche et à la formation Charles Kleiber…).

Enquête préliminai­re du Ministère public

Cependant, le nom d’un des participan­ts va retenir l’attention: celui de Frederik Paulsen – patron milliardai­re de la firme pharmaceut­ique Ferring basée à Saint-Prex, mécène et consul général honoraire de la Fédération de Russie à Lausanne –, qui s’est donné pour mission d’améliorer l’image du pays en Suisse romande. L’affaire prend de l’ampleur quand, le 3 juillet 2018, des députés vaudois s’inquiètent du financemen­t des voyages. La question du conflit d’intérêts se pose.

A la rentrée, le 13 septembre, le procureur général du canton de Vaud, Eric Cottier, lance une enquête préliminai­re qui aboutit le 25 octobre à une non-entrée en matière. Mais la polémique va provoquer la fin de la carrière fédérale de la socialiste Géraldine Savary, qui, critiquée pour ses liens avec Frederik Paulsen, annoncera début novembre son intention de ne pas se représente­r au Conseil des Etats.

Malgré le classement de l’enquête, des questions demeurent. Le fameux 22 février 2019 donc, 24 heures publie quatre pages d’une enquête fouillée, consacrée à «la galaxie Frederik Paulsen», dont fait partie Eric Hoesli. Dans ce cadre, le journal revient longuement sur le couple formé par le milliardai­re et le journalist­e. Loin de se cantonner à une simple relation amicale, comme souvent évoqué, il se nourrit de plusieurs liens d’affaires.

«Une réelle volonté de nuire»

Les deux hommes siègent ainsi dans les mêmes fondations et participen­t à des activités académique­s communes, notamment dans le cadre de l’EPFL, qui reçoit des donations de l’homme d’affaires suédois et emploie Eric Hoesli en tant que professeur titulaire depuis 2014. Ce dernier se défend de vouloir aujourd’hui faire pression sur les médias: «L’enquête demeure essentiell­e à ce métier qui fut le mien, mais cet article était mené avec une réelle volonté de nuire. Et j’ai le droit, comme tout le monde, de me défendre.»

Du côté de Tamedia, l’affaire semble embarrasse­r. «A ce stade, je peux uniquement vous confirmer qu’une procédure est ouverte et qu’elle concerne l’article paru le 22 février 2019 dans le quotidien 24 heures», donne comme seul commentair­e Patrick Matthey, responsabl­e de la communicat­ion du groupe. Il n’en dira pas plus.

Le cas est sensible, car une partie des voyages en Russie en compagnie de Frederik Paulsen ont été organisés par Eric Hoesli, alors même qu’il était à la tête des publicatio­ns romandes du groupe. La procédure promet de durer encore plusieurs mois.

 ?? (SALVATORE DI NOLFI/KEYSTONE) ?? L’ancien directeur de publicatio­n de Tamedia Eric Hoesli estime que l’enquête de «24 heures» qui dévoilait ses liens étroits avec l’homme d’affaires Frederik Paulsen était menée à charge.
(SALVATORE DI NOLFI/KEYSTONE) L’ancien directeur de publicatio­n de Tamedia Eric Hoesli estime que l’enquête de «24 heures» qui dévoilait ses liens étroits avec l’homme d’affaires Frederik Paulsen était menée à charge.

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