Le Temps

«Nous nous devons aux victimes»

Présidente du Conseil des droits de l’homme, l’ambassadri­ce autrichien­ne auprès de l’ONU Elisabeth Tichy-Fisslberge­r ouvre ce lundi la 43e session du CDH, politiquem­ent chargée

- PROPOS RECUEILLIS PAR STÉPHANE BUSSARD @StephaneBu­ssard

Pour sa 43e session qui s’ouvre ce lundi au Palais des Nations à Genève pour un mois, le Conseil des droits de l’homme (CDH) de l’ONU aura la lourde tâche de réaffirmer sa mission de garantir le respect des droits humains, malmenés à travers la planète. Près d’une centaine de ministres des Affaires étrangères et vice-ministres, ainsi que plusieurs chefs d’Etat seront suspendus en matinée au discours du secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres. Le Portugais est attendu au contour. Pris dans un exercice d’équilibris­me face à une nouvelle donne géopolitiq­ue et une administra­tion Trump qui a longtemps mis les pieds au mur, il est jugé insuffisam­ment engagé à défendre publiqueme­nt les droits humains par les uns, salué pour sa diplomatie discrète par les autres. L’ambassadri­ce d’Autriche auprès de l’ONU à Genève, Elisabeth Tichy-Fisslberge­r, préside le Conseil des droits de l’homme. Elle livre son analyse.

Vous êtes la deuxième femme, depuis la création du CDH en 2006, à présider le Conseil. A ce titre, l’exFirst Lady Eleanor Roosevelt (première présidente de la Commission des droits de l’homme en 1946) a-t-elle été une source d’inspiratio­n? Je ne sais pas si elle m’inspire, car elle évoluait dans une situation très différente. Mais dès que j’ai été élue à la présidence du CDH, j’ai acheté une biographie d’elle de 1800 pages. J’en suis encore à la page 938. J’ai encore des choses à découvrir! Ce que je retire du livre, c’est le sentiment que l’histoire des années 1930 se répète. Je ne réalisais pas avant à quel point les Etats-Unis avaient hésité à dénoncer ce qui se passait en Italie, en Allemagne et au Japon. Chez les Roosevelt, Eleanor aurait aimé que son mari soit plus interventi­onniste. Mais Franklin Delanoe ne le souhaitait pas.

Les Nations unies traversent une grave crise budgétaire. Le Conseil des droits de l’homme en subit les effets. Les ONG s’en plaignent déjà, voyant leur temps de parole réduit. La situation vous inquiètet-elle? Le Conseil des droits de l’homme est dans la même situation que l’ONU. Mais nous nous appliquons à expliquer que le CDH et les droits humains, c’est l’un des trois piliers des Nations unies avec la paix et la sécurité ainsi que le développem­ent. Mais pour que ce pilier demeure solide, nous essayons constammen­t de négocier avec le siège de l’ONU des exceptions aux règles qui ont été décrétées à New York parce que le CDH n’est pas n’importe quel groupe de travail. Je crois qu’à New York ils ont mieux saisi l’importance politique d’avoir un Conseil qui fonctionne bien. Le CDH ne se réunit pas comme bon lui semble à l’image du Conseil de sécurité ou le Conseil économique et social. Ses réunions sont limitées à dix semaines par année. La marge de manoeuvre est étroite.

Les droits de l’homme ne représente­nt que 3,7% du budget onusien. Ne sont-ils pas le parent pauvre de l’organisati­on? Oui, ils sont le parent pauvre, mais c’est précisémen­t la raison pour laquelle il faut se battre pour éviter qu’il ne le soit. On sait que le développem­ent mobilise beaucoup d’argent. Mais il faut en être conscient. Le CDH est un organe très complexe avec un très grand nombre d’acteurs, Etats membres, Etats non membres, ONG, rapporteur­s spéciaux, médias, institutio­ns nationales. Ce sont des milliers de personnes qui y participen­t chaque année. Il faut absolument s’assurer qu’il marche au mieux.

La haut-commissair­e aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, le dit: les droits humains sont indivisibl­es. Or à l’ONU, on voit que la Chine insiste sur les droits économique­s, sociaux et culturels et que les Etats-Unis jugent prioritair­es les droits civils et politiques. Le CDH va-t-il être otage de ces deux visions? Cette divergence de vision n’est pas nouvelle. Elle existait déjà à l’heure de la confrontat­ion entre les deux superpuiss­ances de la guerre froide, les Etats-Unis et l’URSS. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les droits humains ne sont pas beaucoup intégrés dans la Charte de l’ONU. A mon avis, une majorité d’Etats pensent que les droits humains sont indivisibl­es.

Après la présentati­on du «plan du siècle» de l’administra­tion Trump pour instaurer la paix au ProcheOrie­nt, après la publicatio­n d’une base de données sur 112 entreprise­s actives dans les colonies israélienn­es, les débats promettent d’être musclés au CDH… Oui, le sujet suscite beaucoup d’intérêt. Mais on ne devrait pas exagérer l’importance du point 7 à l’ordre du jour axé sur Israël. Le problème existe depuis le début du CDH. Le CDH a de nombreux autres dossiers difficiles.

Le Conseil de sécurité à New York est paralysé sur la question d’Idlib. Le CDH est-il mieux armé pour aborder cette tragédie? Pour des raisons institutio­nnelles, le CDH peut parfois obtenir plus facilement des résultats car il n’est pas tributaire du droit de veto. Il faut simplement des majorités qui changent d’ailleurs d’année en année. Le CDH mène des discussion­s substantie­lles sur la Syrie. De plus, nous avons le Mécanisme internatio­nal, impartial et indépendan­t chargé de faciliter les enquêtes sur les violations les plus graves commises en Syrie. Ce mécanisme est précieux. Il produit des pages de preuves qui serviront le jour où il y aura une procédure judiciaire. On le doit aux victimes. Lutter contre l’impunité, c’est construire une paix plus durable.

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HENLEY POUR LE TEMPS) Elisabeth Tichy-Fisslberge­r: «Les droits humains sont le parent pauvre de l’ONU.»(MARK

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