Le Temps

La lutte du père du congé paternité

Bien que non réélu au Conseil national, le président de Travail.Suisse, Adrian Wüthrich, prépare la votation sur ce congé remis en question par un référendum très controvers­é

- MICHEL GUILLAUME, BERNE @mfguillaum­e

C’est passé complèteme­nt inaperçu. Si la vague violette a emporté beaucoup de «vieux hommes blancs conservate­urs», elle a aussi fait des victimes parmi des partisans convaincus du combat pour l’égalité. Ainsi, dans le canton de Berne, le président du comité d’initiative pour un congé paternité, Adrian Wüthrich, n’a pas été réélu sur la liste socialiste. Il n’en garde aucune rancoeur, préférant désormais se concentrer sur la votation de septembre prochain portant sur un compromis de deux semaines. En attendant le congé parental, à l’horizon 2025 peut-être.

Dans ce canton où l’électorat urbain se mobilise désormais bien davantage que celui des campagnes, les femmes ont cartonné le 20 octobre dernier, décrochant 13 des 24 sièges. Le PS a certes enregistré un score historique­ment bas, mais les femmes ont réussi à maintenir leurs trois sièges, contrairem­ent aux hommes dont la liste a fait naufrage: ils ont perdu deux de leurs trois mandats, dont celui d’Adrian Wüthrich.

Ironie du sort: le président de la faîtière syndicale Travail.Suisse, à l’origine de l’initiative sur le congé paternité, a été éjecté du Conseil national alors qu’il est le chantre de cette lutte sur un dossier qui doit contribuer à favoriser la conciliati­on des vies privée et profession­nelle. Un revers que ce jeune père (39 ans) de deux enfants de 6 et 9 ans ne dramatise pas. «Ma non-réélection était prévisible en cas de recul du PS. Et puis il y a un côté positif: ma famille est contente de me revoir plus souvent à la maison», commente-t-il.

«Le référendum des menteurs»

En revanche, l’aboutissem­ent du référendum contre le congé paternité lui reste sur l’estomac. «C’est le référendum des menteurs», accuse-t-il. Il est aujourd’hui avéré que certains jeunes qui ont recueilli les signatures l’ont parfois fait en laissant entendre qu’il s’agissait de soutenir le congé paternité. Ce qui a incité le conseiller national Baptiste Hurni (PS/

NE) à déposer une motion pour modifier le Code pénal et rendre punissable­s de telles pratiques.

«Mais cela, c’est du passé. Nous devons désormais aller de l’avant», estime Adrian Wüthrich. Même si le PS neuchâtelo­is s’apprête, en mars prochain, à déposer un recours auprès du Tribunal fédéral, le fait est qu’il n’y a actuelleme­nt pas de base légale pour invalider ce référendum, dont la Chanceller­ie fédérale a déclaré qu’il avait abouti. Mieux vaut dès lors se préparer afin que la future votation se transforme en plébiscite pour le congé paternité.

En fait, le comité d’initiative n’a pas trop de craintes à avoir sur l’issue du scrutin. Le dernier sondage, effectué par l’institut Link et datant de septembre 2019, indique une très forte majorité en faveur du projet de deux semaines: 83% des personnes interrogée­s le soutiennen­t, contre 14% qui le rejettent. Dans toutes les classes d’âge, le oui est massif. Même chez les plus sceptiques, les seniors de 60 à 80 ans, le non ne dépasse pas 24%.

Le comité ne disposera que d’un budget limité pour la campagne de votation, probableme­nt en dessous du demi-million de francs. Adrian Wüthrich ne s’inquiète pas trop. «Notre campagne vivra de l’engagement de la société civile. Dans les familles, c’est aux jeunes de convaincre leurs parents si nécessaire», souligne-t-il. Pas moins de 160 associatio­ns se sont rangées derrière le congé paternité, de même que la quasi-totalité des partis, sauf l’UDC alémanique. A cela devrait venir se greffer un comité de soutien des milieux de l’économie, composé de patrons de PME.

Un risque de confusion

Pourtant, Adrian Wüthrich avertit déjà. Dans un premier temps, ce vote ne concerne que le congé paternité, qu’il faut distinguer du futur congé parental, qui, lui, pourrait porter sur 24, voire 38 semaines cumulées entre les deux parents selon les variantes. «Il s’agit d’éviter le danger de confusion des deux objets, qui pourrait être exploitée par les référendai­res», souligne-t-il. Le congé paternité ne coûte que 230 millions et sera financé par les allocation­s pour perte de gain (APG). Le congé parental pourrait, quant à lui, se chiffrer en milliards. Il a été convenu que les milieux qui ont déjà annoncé une initiative pour le congé parental gèlent leur projet d’ici à la votation populaire. Le PS, de même que l’associatio­n PublicBeta, spécialisé­e dans la collecte de signatures sur internet, y ont consenti.

Mais tous les partisans du congé paternité de deux semaines en sont conscients. Malgré ce petit progrès social, la Suisse restera très en retard par rapport aux autres pays européens. Le deuxième pas doit être beaucoup plus ambitieux: Travail.Suisse prône un congé parental de 24 semaines en plus de l’actuel congé maternité de 14 semaines – la seule manière de casser les rôles traditionn­els des deux parents au sein de la famille. Mais les plus optimistes ne l’espèrent plus avant l’horizon 2025, au plus tôt.

«Ma nonréélect­ion était prévisible en cas de recul du PS» ADRIAN WÜTHRICH PRÉSIDENT DE TRAVAIL.SUISSE

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(39 ans) de deux enfants ne dramatise pas.
(ALESSANDRO DELLA VALLE/KEYSTONE) Adrian Wüthrich, à l’origine de l’initiative sur le congé paternité, a été éjecté du Conseil national. Un revers que ce jeune père (39 ans) de deux enfants ne dramatise pas.

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