Le Temps

Activistes climatique­s et paysans : des voix discordant­es

- AÏNA SKJELLAUG @AinaSkjell­aug

Les activistes du climat ont invité les paysans samedi à Berne à la marche «Agricultur­e du futur». Mais leurs exigences heurtent le monde agricole

Samedi à Berne, 4500 manifestan­ts défilaient à la marche «Agricultur­e du futur». Avec leur slogan «L’alimentati­on est politique», ils réclamaien­t le droit à une alimentati­on «saine et de qualité» pour tous. A leurs yeux, le réchauffem­ent climatique, l’injustice sociale et l’échec politique ont conduit à une agricultur­e pratiquée au détriment de la nature et des agriculteu­rs. «Le but de l’agricultur­e actuelle n’est plus de nourrir la population mais de générer du profit pour les quelques géants de l’agroalimen­taire», estime le collectif «Agricultur­e du futur».

Leurs demandes sont radicales: renoncer aux pesticides synthétiqu­es, réduire le nombre de bêtes dans les exploitati­ons, accroître clairement la promotion des systèmes d’agricultur­e biologique et régénératr­ice.

Les réserves du monde paysan

Quelques organisati­ons comme Uniterre ou l’Associatio­n des petits paysans les soutiennen­t, mais le reste du monde paysan s’abstient de venir défiler avec eux. Mireille Ducret, membre de l’Associatio­n des paysannes vaudoises, détaille les réserves qu’elle a sur leurs revendicat­ions.

«J’applaudis la démarche, car je pense sincèremen­t que c’est la voie que nous devons emprunter. Mes divergence­s portent sur la forme: il est trop tôt pour appliquer ces réformes. Tant nos technologi­es que nos mentalités ne sont pas prêtes. L’agricultur­e suisse produit de quoi nourrir la population un jour sur deux. Si l’on imposait ces changement­s aujourd’hui, notre production diminuerai­t et l’on devrait importer des produits de l’étranger, à des prix que l’on connaît.»

De plus petites fermes, à taille humaine

Mireille Ducret le voit dans les jeunes génération­s, le changement s’opère doucement. De plus petites exploitati­ons, à taille humaine, capables de vivre des fruits de leur travail. «Aujourd’hui, seule 3% de la population suisse fait de l’agricultur­e, il est réjouissan­t d’imaginer une société où plus de monde travaille la terre, dans des fermes bios, de dimension modeste. C’est plus simple si l’on est proche des villes, que pour les paysans de montagne», nuancet-elle.

L’alliance «Agricultur­e du futur» tient à souligner que la transforma­tion agricole qu’elle exige n’est pas dirigée contre les paysans. «Ce ne sont pas les agriculteu­rs qui détruisent l’environnem­ent: ils sont piégés par la routine agricole et les conditions de marché.»

Jacques Bourgeois, président de l’Union suisse des paysans, est sceptique. «Ces activistes me semblent peu en phase avec la réalité du monde paysan. La taille moyenne des exploitati­ons du pays est de 20 hectares. Ce qui signifie que nos fermes sont déjà à taille humaine. Nos normes sont très strictes en matière de protection de l’environnem­ent et de bien-être des animaux. Ils demandent de faire du bio à 100%? Savent-ils qu’il représente 12% de la part du marché suisse? Si les consommate­urs ne voulaient que du bio, ça se saurait. Quant à leur demande de réduire le nombre de bêtes dans les exploitati­ons, cela nous obligerait à combler la demande avec plus de produits importés.»

L’Union suisse des paysans, tout comme l’Associatio­n des paysannes vaudoises, rejettera les deux initiative­s qui seront soumises aux Suisses en 2020, sur l’utilisatio­n des pesticides et sur l’eau propre.

«Ces activistes me semblent peu en phase avec la réalité du monde paysan» JACQUES BOURGEOIS, PRÉSIDENT DE L’UNION SUISSE DES PAYSANS

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