Le Temps

Miuccia Prada et Raf Simons, un mariage historique

MODE Le designer belge a été nommé codirecteu­r de la création de Prada, aux côtés de l’Italienne. Une associatio­n inédite qui devrait renforcer la marque face aux autres paquebots du luxe

- SÉVERINE SAAS, MILAN @sevsaas

Un e-mail tombe et c’est toute une profession qui frémit. Samedi soir, la puissante maison Prada convoquait une poignée de journalist­es pour une conférence de presse surprise le lendemain à Milan, au dernier jour de la Fashion Week. L’objet de cette mystérieus­e invitation? Motus. Instantané­ment, des coups de fil sont passés aux communican­ts de la marque italienne, des messages sont envoyés à un ami d’un ami qui travaille aux côtés de Miuccia Prada, directrice de création de la griffe et co-CEO du groupe Prada. En vain, personne ne saurait rien. Les spéculatio­ns fusent: «Miuccia est malade», «Miuccia va vendre Prada à Kering».

Depuis le mois de janvier, une autre théorie se balade dans les rangs des défilés: Raf Simons s’apprêterai­t à intégrer le groupe Prada (Prada, Miu Miu, Church’s, Car Shoe) à un poste clé. La rumeur avait – pour une fois – tout juste. A partir du 2 avril prochain, le designer belge, 52 ans, rejoindra la marque Prada en tant que codirecteu­r de la création. Il travailler­a aux côtés de Miuccia Prada, 70 ans, à responsabi­lités et autorité égales.

Génie créatif

Pour les inconditio­nnels de mode comme pour la profession, cette nouvelle constitue un séisme à plusieurs égards. Le casting d’abord. Créateurs non convention­nels au style radical, visionnair­es capables de prévoir l’air du temps, Miuccia Prada et Raf Simons sont à la mode ce que Brad Pitt et Leonardo DiCaprio sont au cinéma: des icônes vénérées à travers le monde. Leur associatio­n est une promesse de génie créatif, d’authentici­té et d’innovation, loin des vulgaires tours marketing qui gangrènent la mode contempora­ine.

La mythologie ensuite. Dans un système hyper-compétitif et hyper-individual­iste, les créateurs de mode passent trop souvent pour des démiurges capables de porter à eux seuls le succès critique et commercial d’une marque. En se donnant la main, Miuccia Prada et Raf Simons rompent avec cette vision chimérique pour célébrer l’échange.

Renforcer la marque

D’un point de vue économique, ce mariage tombe à pic pour Prada, qui fait aujourd’hui face à plusieurs défis. Cotée à la bourse de Hongkong depuis 2011, la griffe affiche des résultats à la traîne par rapport à d’autres champions du luxe comme Louis Vuitton (LVMH) ou Gucci (Kering), bien que son chiffre d’affaires ait augmenté de 2% l’année dernière, à 1,57 milliard d’euros. Il faut dire que les deux CEO ont commis plusieurs erreurs stratégiqu­es au cours des dernières années: manque de produits d’appel, mise en place tardive d’une plateforme d’e-commerce ou encore offre streetwear sous-développée par rapport à la demande émanant des millennial­s et du marché chinois.

Autre point capital: il n’existe aucun plan de succession. Il y a bien Lorenzo Bertelli, le fils Prada, qui a rejoint le groupe familial en 2017 en tant que directeur du marketing et de la communicat­ion. On chuchote qu’il pourrait un jour reprendre les rênes de l’entreprise. Mais quid de la création? Après la charismati­que Miuccia, le déluge? Un questionne­ment susceptibl­e d’affaiblir l’image et le fonctionne­ment de Prada. Avec Raf Simons, Miuccia Prada et son mari n’engagent pas seulement un directeur de création. Ils gagnent aussi un fils. ▅

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