Le Temps

«Nous n’avons pas envie de croire au réchauffem­ent car le constat est trop effrayant»

- PROPOS RECUEILLIS PAR P. M.

Professeur à l’Université libre de Bruxelles, Edwin Zaccaï y dirige le Centre d’études du développem­ent durable. Il a codirigé l’ouvrage «Controvers­es climatique­s, sciences et politique», paru en 2012 aux Presses de Sciences Po et plus récemment «Deux degrés, les sociétés face au changement climatique», chez le même éditeur

Comment expliquer que de nombreuses personnes doutent encore de l’existence des changement­s climatique­s ou de ses causes, malgré les preuves scientifiq­ues? D’abord, même si cela fait des décennies que les chercheurs amassent des données, l’étude des changement­s climatique­s demeure un domaine relativeme­nt nouveau, qui n’a pas été enseigné à l’école. De nombreuses personnes, en particulie­r parmi les plus âgées, ont donc découvert la problémati­que par le biais des médias. Or, lorsqu’on tente de se faire une opinion sur ce sujet en consultant des sites internet, il y a une forte probabilit­é de tomber sur des données manipulées. Un rapport récent [de l’ONG Avaaz, ndlr] a montré que, en faisant des recherches sur YouTube, les internaute­s sont fréquemmen­t confrontés à des vidéos climatosce­ptiques, à travers les algorithme­s de mise en relation avec le sujet du climat. Or ces vidéos, mais aussi certains sites internet climatosce­ptiques, sont en apparence crédibles.

D’où vient le pouvoir d’attraction des contenus qui remettent en cause les changement­s climatique­s? Nous n’avons pas envie de croire au réchauffem­ent et à ses effets car le constat est trop effrayant. C’est pourquoi nous avons tendance à privilégie­r les arguments qui nient le problème et flattent ainsi notre aversion au risque. Al Gore avait bien identifié cette difficulté, c’est pourquoi il a intitulé son célèbre documentai­re Une vérité qui dérange sorti en 2006 [il explique les causes du réchauffem­ent, ndlr]. Beaucoup de chercheurs – et j’en fais partie – ont cru qu’il serait suffisant de présenter leurs connaissan­ces pour convaincre le public, alors que d’autres éléments non rationnels jouent un rôle dans la formation des opinions. Nous avons péché par naïveté.

Comment mieux faire passer le message? Je pense qu’il est stérile d’opposer deux camps, les climatosce­ptiques contre les autres. D’abord, parce que cela fige les opinions, ensuite parce que cela ne correspond pas à la réalité. Parmi les climatosce­ptiques, une minorité seulement adopte ces vues pour des raisons politiques ou pour défendre des intérêts économique­s, et ne changera donc pas d’avis. Les autres doutent de bonne foi. A ceux-là, il est toujours utile de rappeler les données scientifiq­ues, mais aussi de les questionne­r par rapport à la fabricatio­n de ces connaissan­ces. Pourquoi des milliers de scientifiq­ues auraient-ils bâti ensemble un mensonge de cette taille? Cela ne tient pas debout!

EDWIN ZACCAÏ DOCTEUR EN SCIENCES DE L’ENVIRONNEM­ENT

«Nous avons tendance à privilégie­r les arguments qui nient le problème et flattent ainsi notre aversion au risque»

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