Le Temps

Un couple, une histoire de cinéma, ou le scénario de Rita Production­s

«Tous les films ne se font pas dans la douleur, mais aucun film n’est simple à faire. C’est un métier fait de waouh! et de oooh…»

- ANTOINE DUPLAN @duplantoin­e

En couple à la ville comme à la scène, ils dirigent à quatre mains Rita Production­s, la société qu’ils ont fondée à Genève, et démontrent que la parité peut être très drôle. On leur doit «Ma vie de Courgette» et autres films admirables

Le premier film de Pauline Gygax a été Rox et Rouky. Mais c’est avec E. T. qu’elle a ressenti sa première grande émotion. Chez Max Karli, l’appel de la cinéphilie est plus brumeux. Il se souvient de «deux ou trois sombres films de SF pour enfants» qui l’avaient emmené très loin ailleurs. L’émotion reste «le moteur de nos vies, estime Pauline. Nous ne sommes pas très raisonnabl­es, mais très stratégiqu­es. L’instinct nous guide.»

Ils se sont rencontrés «sous les astres de l’image», au Grütli. Pauline dirigeait le Centre de la photograph­ie de Genève; Max, qui avait travaillé comme technicien, assistant et monteur, était attaché de presse à Fonction: Cinéma. En 2003, ils font le pari «un peu fou» de produire des films et fondent Rita Production­s – sainte Rita étant la patronne des cas désespérés…

«Des femmes fortes»

Documentai­res (Tabou, Dirty Gold War…), séries télé (T’es pas la seule!, Helvetica…), fictions (Déchaînées, Les Grandes Ondes, La Rançon de la gloire, Le Vent tourne, Les Gardiennes, Ma vie de Courgette…), leurs production­s se singularis­ent par leurs tonalités variées, leur saveur irrévérenc­ieuse, leur teneur humaniste. Un «Rita Movie», c’est peut-être un film «qui prend les choses au sérieux sans se prendre au sérieux», avance Pauline Gygax. «Beaucoup de nos films racontent des trajectoir­es de femmes fortes», relève Max Karli. «A commencer par cette bonne vieille Heidi», sourit Pauline. «Oui. Dans cette série jeunesse, elle descend en ville, devient avocate…» rappelle Max. «… pour devenir Franz Weber», se marre Pauline.

Malicieuse, Pauline confie que «Max rêve de faire un slasher de science-fiction au Cambodge». Max précise: «Avec des femmes fortes.» Active au sein de Swiss Women’s Audiovisua­l Network (SWAN), l’associatio­n qui milite pour la parité dans le cinéma suisse, Pauline n’aurait jamais lié sa vie profession­nelle et privée «avec quelqu’un qui n’est pas au diapason sur ces questions. Je pense que c’est réciproque. Je n’ai pas converti Max.»

Une famille Rita se constitue. Elle a ses racines dans la région valdo-genevoise. Elle s’agrandit avec Bandita, une société née du rapprochem­ent avec Bande à Part (Baier, Bron, Meier et Mermoud). Elle déploie ses branches du côté de la France et de la Belgique avec des compagnes et des compagnons de route comme Céline Sciamma, Adèle Haenel, les productric­es Judith Nora, Marie-Ange Luciani et Sylvie Pialat, Xavier Beauvois… Et Mona Chollet, puisque Rita a acquis les droits de Sorcières pour l’adapter dans un format alliant prises de vues réelles, images d’archives et séquences en animation. Parmi les prochains films,

Rita annonce la série Sacha de Léa Fazer, «encore un très beau portrait de femme», (AU SUD) de Lionel Baier et La Ligne d’Ursula Meier, coproduit avec les frères Dardenne…

«Tous les films ne se font pas dans la douleur, mais aucun film n’est simple à faire. C’est un métier fait de «waouh!» (ton ascendant) et de «oooh…» (ton descendant)», remarque Max. Il évoque les longs mois de solitude pendant le développem­ent d’un projet, des satisfacti­ons aussitôt tempérées par une complicati­on et, enfin, ce grand moment de joie quand le film est montré au public, l’acmé ayant été les vingt minutes de standing ovation pour Courgette à Cannes. Pauline parle d’un «ascenseur émotionnel qui monte et qui descend. Discerner la fierté ou la joie dans les yeux du réalisateu­r ou de la réalisatri­ce est un moment si fort qu’il efface toutes les épreuves.»

A la question de savoir comment ils se répartisse­nt les tâches au sein de la société, le couple a longtemps répondu par une boutade: «Nous sommes les chiffres et les lettres.» Associés à 50/50, «complément­aires et interchang­eables», ils prennent toutes les décisions ensemble. Ensuite, chacun peut affirmer son leadership sur un projet, Max sur Courgette, Pauline sur les films de Baier ou de Beauvois, et privilégie­r un aspect du travail: à Pauline l’artistique, à Max le juridique – quitte à renverser les priorités la fois suivante. «La différence fondamenta­le entre Max et moi, c’est qu’il ne panique pas en ouvrant Microsoft Excel», s’amuse Pauline. «Pauline arrive à lire 10, 20, 30 versions d’un même texte. C’est extrêmemen­t difficile. J’avoue que je mélange rapidement les moutures», reconnaît Max.

Pugnacité folle

Quant aux tâches ménagères, elles s’organisent harmonieus­ement. «C’est relativeme­nt bien réparti dans le sens où Max est un excellent cuisinier – on dira pudiquemen­t que ce n’est pas tout à fait mon fort. Pour le reste, comme je suis une control freak, je m’occupe de beaucoup de choses de la vie familiale sans vraiment laisser le choix à Max.» L’un comme l’autre peuvent s’absenter quelques jours ou plusieurs semaines pour un tournage à l’étranger. Max: «C’est une vie de forains. Chacun endosse à tour de rôle la responsabi­lité de faire tourner la maison.»

Sommés de citer la plus belle qualité et le pire défaut de l’autre, les deux partenaire­s se balancent des vannes. Il en ressort que Pauline a mille vertus, dont «une pugnacité folle, une intelligen­ce hors du commun. Parfois elle teste sa pugnacité sur moi et c’est l’enfer», juge Max. «Ça, c’est pas cool» s’indigne Pauline. Elle aussi salue l’«intelligen­ce» de Max. Et pointe sa «mauvaise foi». Il s’esclaffe: «C’est lequel, le défaut?»

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