Le Temps

Harvey Weinstein coupable d’agression sexuelle et de viol, un verdict en demi-teinte pour #MeToo

Reconnu coupable d’agression sexuelle et de viol, Harvey Weinstein a en revanche été disculpé des accusation­s de prédateur sexuel. L’ex-producteur d’Hollywood échappe à la perpétuité, mais encourt jusqu’à 25 ans de prison. Sa peine sera fixée le 11 mars

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK @VdeGraffen­ried

Harvey Weinstein est bien un violeur. Mais pas un prédateur sexuel. Il a fallu un peu plus de quatre jours aux 12 jurés pour s’entendre sur ce verdict. Lundi, après un long suspense, l’homme de 67 ans a été reconnu coupable d’agression sexuelle et de viol, et encourt entre 5 et 25 ans de prison. Les jurés l’ont en revanche acquitté concernant trois autres chefs d’accusation. Le juge James Burke fixera sa peine le 11 mars. Pour le mouvement #MeToo, qui craignait qu’il soit entièremen­t innocenté, c’est déjà une victoire.

L’ex-producteur d’Hollywood a quitté le tribunal menotté, pour être emmené en prison. Ce procès, emblématiq­ue de l’ère #MeToo, a été très médiatisé. L’enjeu était le suivant: Harvey Weinstein, accusé par plus de 90 femmes – dont des actrices célèbres – d’agressions sexuelles, mais jugé à Manhattan uniquement pour deux cas, pouvait-il être considéré comme un violeur, avec un comporteme­nt de prédateur sexuel récidivist­e comme circonstan­ce aggravante, qui lui faisait encourir la perpétuité? Les jurés ont demandé à relire certains témoignage­s avant de trancher. Vendredi, ils s’étaient entendus sur trois chefs d’accusation, mais se montraient encore divisés sur les deux plus importants. Harvey Weinstein, qui est également sous le coup de deux inculpatio­ns à Los Angeles, échappe désormais à la prison à vie.

«Un processus imparfait»

Très vite, les réactions ont fusé. Les «Silent Breakers», groupe de femmes victimes d’agressions sexuelles, ont qualifié le verdict de «décevant». «Malgré les intimidati­ons de l’équipe juridique de Weinstein, des femmes ont courageuse­ment partagé leur histoire avec le jury, le tribunal et le monde entier. Ce processus a été imparfait dès le départ, mais il a mis en évidence les difficulté­s que les femmes rencontren­t pour dire la vérité sur les puissants agresseurs. Leur bravoure restera à jamais gravée dans l’histoire», relèvent-elles. Avec un avertissem­ent: le combat est loin d’être terminé. L’actrice Rosanna Arquette fait partie de celles qui se sont déplacées devant le tribunal. «Nous changerons les lois pour que les victimes de viol soient entendues et non plus discrédité­es, et qu’il soit plus facile de porter plainte pour viol», insistet-elle sur Twitter.

Pour Time’s Up, né dans la foulée de #MeToo, le verdict marque bien «une nouvelle ère». Le procureur de Manhattan Cyrus Vance préfère lui aussi voir le verre à moitié plein. Pour lui, les six femmes venues témoigner ont «changé le cours de l’histoire». «Un viol est un viol, qu’il soit commis par un inconnu dans une ruelle sombre ou par un partenaire dans une relation intime. C’est un viol même s’il n’y a aucune preuve matérielle et si ça s’est passé il y a très longtemps», a-t-il commenté.

Des détails crus

Le procès s’est tenu dans le bâtiment de la Cour suprême de l’Etat de New York, à Manhattan, avec chaque jour des grappes de journalist­es qui faisaient la file à des heures très matinales pour s’assurer une place au tribunal. Apparu affaibli, s’accrochant la plupart du temps à son déambulate­ur lors de ses arrivées au tribunal, Harvey Weinstein semblait avoir repris confiance ces derniers jours. Il se montrait plus souriant, osant même une réponse du tac au tac à propos de Peanut, le chihuahua d’une accusatric­e, qui l’aurait poursuivi dans un appartemen­t. «Est-ce que j’ai l’air de quelqu’un

«Nous changerons les lois pour que les victimes de viol soient entendues et non plus discrédité­es» ROSANNA ARQUETTE, ACTRICE

qui a peur des chihuahuas?» a-t-il rétorqué un jour à une journalist­e qui l’interrogea­it à ce propos.

Pendant trois semaines et demie, les 12 jurés, sept hommes et cinq femmes, ont vu défiler des témoins. Des sanglots, des détails crus concernant l’anatomie de l’accusé, sans testicules: rien ne leur a été épargné. Malgré la vague d’accusatric­es, dont certaines qui ont accepté des arrangemen­ts financiers en échange de l’abandon de plaintes au civil, le procès n’a porté que sur deux cas précis: Mimi Haleyi, une ancienne assistante de production, l’a accusé d’un cunnilingu­s forcé survenu en 2006, et Jessica Mann, aspirante actrice, de l’avoir violée en 2013.

Annabella Sciorra à la barre

Mais quatre autres femmes ont également pu témoigner. Dont l’actrice des Soprano Annabella Sciorra. Lors de son témoignage très puissant, elle a accusé Harvey Weinstein de l’avoir violée en 1993 et décrit le climat de terreur dans lequel elle vivait. L’agression présumée était prescrite, mais son témoignage avait pour but de consolider l’aspect «prédateur» revendiqué par l’accusation, comme circonstan­ce aggravante. Un des points sur lesquels les jurés n’arrivaient pas à s’entendre. Ils ont finalement décidé de disculper Harvey Weinstein sur ce point.

Lors du procès, les procureurs ont décrit l’accusé comme un prédateur, manipulate­ur, cynique et violent. Il se considérai­t comme «un maître de l’univers, et les femmes qui ont témoigné n’étaient que des fourmis qu’il pouvait piétiner sans conséquenc­es», a insisté, lors de son réquisitoi­re final, la procureure Joan Illuzzi-Orbon.

Pour les avocats du producteur, emmenés par la coriace Donna Rotunno, surnommée «le bouledogue des tribunaux», l’objectif était de démontrer au contraire que ces femmes, avides de réussir dans le milieu du cinéma, avaient continué à entretenir des liens avec Harvey Weinstein, même après les agressions décrites. Les avocats ont projeté des échanges d’e-mails et de SMS, parfois assez troublants, sur grand écran. Le témoignage confus et incohérent de Jessica Mann, l’une des deux plaignante­s, a apporté de l’eau à leur moulin, à tel point que la plupart des observateu­rs pensaient ces derniers jours que Weinstein allait être acquitté. Elle a reconnu avoir eu une liaison consentant­e avec Harvey Weinstein pendant plusieurs années après le présumé viol de 2013.

Lors de sa plaidoirie finale demandant l’acquitteme­nt de son client, Donna Rotunno a prévenu les jurés de ne pas se laisser emporter par le tourbillon de #MeToo. Elle a même fait appel à leur «bon sens new-yorkais». «Les médias ont fait du zèle, l’accusation a fait du zèle […]. Vous êtes appelés à prendre une décision impopulair­e» et à «ignorer l’agitation» autour de l’affaire, a-t-elle insisté. Spécialisé­e dans la défense d’hommes accusés d’agressions sexuelles, elle avait jusqu’ici obtenu l’acquitteme­nt de ses clients dans presque tous les cas. Pas cette fois. Lundi, elle a annoncé qu’elle ferait appel.

 ?? (JANE ROSENBERG/REUTERS) ?? Harvey Weinstein lors de son procès, avec, à droite, son avocate Donna Rotunno, surnommée «le bouledogue des tribunaux».
(JANE ROSENBERG/REUTERS) Harvey Weinstein lors de son procès, avec, à droite, son avocate Donna Rotunno, surnommée «le bouledogue des tribunaux».

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