Comment réinventer la Métropole lémanique?
Lancé en grande pompe il y a bientôt dix ans, le projet politico-urbanistique a fini en feu de paille. La réalité montre qu’un réseau de villes fortes le long du lac serait plus à même de marquer cette agglomération où réside 20% de la population suisse
Comment penser le territoire lémanique entre Genève et Lausanne (et au-delà)? Il y a vingt ans, on parlait de fusion entre les cantons de Vaud et de Genève. Il y a dix ans était lancé le projet d’une grande Métropole lémanique, afin de peser sur la balance contre Zurich. Un logo était créé et de grandes ambitions accompagnaient cette coalition. Le projet a coulé, oublié de beaucoup, après s’être cogné à de trop nombreuses contraintes. L’échec n’a pas été total; certains dossiers ont porté leur fruit, comme la répartition des investissements ferroviaires, gagnante grâce à cette alliance de circonstance.
Le pôle valdo-genevois s’est délité
Le député vaudois Axel Marion a demandé des précisions au gouvernement tant sur le bilan que sur les perspectives de ce projet. «On nous avait annoncé un certain nombre de rapports qui ne sont jamais venus. Le pôle incarné par Pascal Broulis et François Longchamp s’est complètement délité, l’ambiance a changé, regardez les tensions actuelles autour du déménagement de la RTS. Après cet énorme engouement, pour peser face à la métropole zurichoise, à l’aide de structures fortes et d’engagements mutuels, on n’en a plus beaucoup parlé. Cela dit quelque chose de l’état des relations entre les deux cantons.»
Le PDC europhile ne peut s’empêcher de faire allusion à un autre projet d’union. «A une autre échelle, la création de la Communauté européenne s’est aussi faite par la création d’une identité commune et la mise en place de structures fortes. Il y avait la volonté de faire quelque chose, de mener une politique entre les pays. C’est là que je n’ai pas très bien compris l’inadéquation entre les espoirs générés par Vaud et Genève et les résultats qui en ont découlé.»
Des villes comme des maillons forts
En réponse à Axel Marion, le Conseil d’Etat se défend: «Par ses efforts en matière de communication, l’image du deuxième pôle économique du pays s’en est trouvée améliorée.» Il ajoute que la gestion de la Métropole lémanique vit par l’action des services administratifs désignés dans chacun des cantons et que ses structures sont modestes.
Plutôt que de continuer à penser en un – avec l’idée de fusion – ou en deux – par un partenariat – l’architecte-urbaniste Patrick Heiz propose d’accepter l’espacement territorial comme une qualité. Il s’explique: «L’étalement est trop souvent perçu comme quelque chose de négatif et, a contrario, un centre fort avec des tours comme un synonyme de modernité. Mais, dans cette région lémanique, où les qualités sont liées à la topographie, il y a la possibilité de lire une métropole linéaire, comme un chaînon, où les maillons forts sont les villes. Si l’on densifie de manière plus répartie et homogène, on quitterait la référence de centralité reliée soit à Genève, soit à Lausanne. Quitter le bipolaire permettrait d’envisager une identité continue naturellement liée au paysage lémanique.»
La Métropole lémanique existe déjà dans les faits, c’est en termes de perception collective qu’il faut la travailler. Comment? L’échelon négligé, c’est la commune. «Les villes sont toujours le parent pauvre des politiques territoriales», déplore l’architecte lausannois. «Si elles avaient l’ambition d’être actives au-delà de la fin de leur territoire, de facto la Métropole lémanique existerait.»
l’importance des espaces semi-urbains
C’est ce que pense Gérald Cretegny, le syndic de Gland, ville de 13000 habitants entre Nyon et Morges. Il est un fervent défenseur de l’agglomération du Grand Genève: un total de 212 communes, genevoises, vaudoises et françaises, dont la sienne est à l’une des extrémités. Un million d’habitants. «Je trouve totalement cohérent que le district de Nyon fasse partie du Grand Genève. L’objectif de tout politicien devrait être: quel service puis-je rendre à la population? Or les frontières politiques ne sont pas celles qui sont ressenties par les citoyens. Des questions comme la mobilité, l’agriculture ou les mesures paysagères sont traitées au sein de ce cercle très large autour de Genève. A quelques kilomètres de nous, commence le PALM, l’agglomération Lausanne-Morges. Si l’on joignait les deux, on aurait presque un continu entre la France voisine et Lausanne.»
Gérald Cretegny redit l’importance des espaces semi-urbains entre les deux grandes villes lémaniques. C’est par ce tissu que passe le sentiment d’unité, et cela n’a pas été compris par les initiateurs du projet de Métropole lémanique. «Les conseils d’Etat de Vaud et de Genève ont rêvé très fort de diriger ensemble un certain nombre de politiques, et puis, le résultat n’a pas du tout été à la hauteur. Il faut dire que leurs cultures politiques sont tellement différentes. Pendant ce temps, le projet d’agglomération a fait son chemin et commence à donner des résultats. Il est parti du bas, des communes, il est soutenu par le canton.»
La solution est sûrement dans les mains des petites et moyennes villes, pour asseoir cet espace entre Genève et Lausanne, souvent qualifié de second poumon économique du pays, où réside 20% de la population suisse.
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