Les dénonciations très prudentes d’Antonio Guterres
En ouvrant la 43e session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, le secrétaire général a lancé un appel à renforcer l’engagement pour les droits fondamentaux. Mais il se refuse à dénoncer le moindre Etat
Antonio Guterres a-t-il levé le doute que les défenseurs des droits humains pouvaient avoir quant à son engagement en leur faveur? Lundi, devant un Conseil des droits de l’homme bondé réuni au Palais des Nations à Genève en ouverture de sa 43e session, le secrétaire général de l’ONU a bien souligné que les droits de l’homme étaient «pris d’assaut».
Après avoir souligné les grands progrès accomplis par l’humanité ces dernières décennies, rappelant que luimême n’avait connu la démocratie qu’à l’âge de 24 ans à la fin de la dictature de Salazar au Portugal, Antonio Guterres a rappelé qu’un nombre croissant de civils étaient otages des conflits, affamés et bombardés. Il a dénoncé le trafic d’êtres humains, l’exploitation et les abus sexuels des femmes et filles, l’assassinat et l’intimidation des journalistes, mais aussi «les lois répressives qui se multiplient, avec des restrictions de plus en plus grandes pour les libertés d’expression, de religion, de participation, de réunion et d’association». Il a cloué au pilori ces leaders politiques qui exploitent les peurs pour leurs propres gains politiques et qui utilisent l’argument de la souveraineté nationale comme «prétexte pour violer les droits humains». Il y a, relèvet-il, une fausse dichotomie entre les droits fondamentaux et la souveraineté. Il a fustigé une «arithmétique politique perverse qui s’instaure, celle consistant à diviser le peuple pour obtenir le maximum de votes. L’Etat de droit est en train de se déliter.»
Travailler «main dans la main» avec les Etats
Mais à aucun instant n’a-t-il mentionné des Donald Trump, Viktor Orban ou Recep Tayyip Erdogan. Antonio Guterres, qui achèvera son premier mandat de secrétaire général en 2022, est resté ancré dans un discours général déclarant qu’il «serait erroné de limiter les droits économiques, sociaux et culturels, comme il serait erroné de penser que ces droits sont suffisants pour répondre à la soif de liberté des individus». Il n’a pas explicitement fait référence à la Chine, qui fait des droits économiques, sociaux et culturels son cheval de bataille et sa marque de fabrique, se targuant d’avoir extrait «874 millions» d’individus de la pauvreté. Ni aux Etats-Unis qui, sous Donald Trump en particulier, ont fait des droits civils et politiques leur mantra dans leur volonté de redéfinir, à travers une Commission «des droits inaliénables» établie au Département d’Etat, les droits fondamentaux notamment pour mieux confronter Pékin.
Le secrétaire général des Nations unies a jugé bon de préciser les raisons qui expliqueraient sa grande prudence. Il a appelé à un sursaut diplomatique et un appel à une action plus déterminée se déclinant en sept points. Il promet ainsi de travailler «main dans la main» avec les Etats quand cela s’impose, mais aussi de dénoncer publiquement les violations des droits humains et ceux qui les ont commises. Il promet aussi de mener une diplomatie de coulisses. Les trois méthodes peuvent, avance-t-il, être utilisées simultanément. Antonio Guterres cherche manifestement à anticiper les critiques. Les défenseurs des droits de l’homme ont vivement critiqué le secrétaire général pour ne pas suffisamment s’engager en faveur des droits de l’homme, notamment face aux grandes puissances.
Pas d’accusations directes
Directeur exécutif de Human Rights Watch, Kenneth Roth salue la volonté de Guterres de renforcer les efforts onusiens en faveur des droits fondamentaux. A ses yeux, le secrétaire général peut vraiment incarner une organisation multilatérale forte face aux Etats qui violent les droits humains, que ce soient la Chine et «les détentions arbitraires d’Ouïgours», les «atrocités commises par le Myanmar contre les Rohingyas, les bombardements de civils à Idlib par la Russie et la Syrie ou encore la politique de Washington consistant à séparer les enfants de leurs parents à la frontière américano-mexicaine». Mais, ajoute Kenneth Roth, ces efforts ne seront fructueux que si «le secrétaire général fait des commentaires publics réguliers et musclés et n’a pas peur de citer nommément les Etats violateurs». Une politique de dénonciation qui avait été la marque de fabrique de l’ancien haut-commissaire aux droits de l’homme Zeid Ra’ad al-Hussein qui, en froid avec plusieurs Etats membres et le secrétaire général Guterres, n’avait pas cherché à obtenir un second mandat au Palais Wilson.
Dans l’attente d’un discours plus axé sur les violations proprement dites des droits humains, la haut-commissaire aux droits de l’homme, la Chilienne Michelle Bachelet, est elle aussi restée très précautionneuse, relevant qu’il était temps d’accroître la défense des droits humains. Sans quoi la planète pourrait être confrontée à une multitude de crises qui pourraient se renforcer mutuellement.
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«Ces efforts ne seront fructueux que si le secrétaire général fait des commentaires publics réguliers et musclés et n’a pas peur de citer nommément les Etats violateurs» KENNETH ROTH, DIRECTEUR EXÉCUTIF DE HUMAN RIGHTS WATCH