Le Temps

Les faits sur l’efficacité économique des transports publics

- JOSÉ IBARRA ÉCONOMISTE DES TRANSPORTS, MEMBRE DU COMITÉ DE L’ATE VAUD

Dans une chronique récemment parue dans les colonnes du Temps, Mme Miauton cherchait à expliquer ce qu'elle présentait comme «l'inefficaci­té économique des transports publics» et défendait que la voiture individuel­le serait malgré tout le moyen de transport le plus viable économique­ment. Le point central de son argumentai­re consistait à expliquer qu'alors que les coûts liés à la route sont complèteme­nt payés par les automobili­stes, les transports publics sont subvention­nés à plus de 50% par les différente­s collectivi­tés – et donc peu viables économique­ment.

Ces chiffres étant des pourcentag­es, ils ne renseignen­t pas sur les montants totaux des coûts de ces transports en Suisse. Ce point est toutefois capital vu les sommes en jeu. En effet, ces coûts étaient selon l'Office fédéral de la statistiqu­e de 72 milliards pour le transport routier motorisé et de 11 milliards pour le ferroviair­e, pris en charge par le secteur public à hauteur respective­ment de 8,1 milliards pour la route et 8,4 milliards pour les transports publics (routiers et ferroviair­es), le reste étant couvert par les dépenses directes des utilisateu­rs.

S'ajoutent aussi à ces montants les coûts des externalit­és négatives des transports (accidents, pollution, réchauffem­ent climatique et bruit). Ceux-ci ont été mesurés par l'Office fédéral du développem­ent territoria­l (ARE) à 15,8 milliards pour la route et à 1,1 milliard pour le rail, ramenant donc les coûts totaux des transports à 87,8 milliards pour la route et 9,5 milliards pour le rail. Ce même rapport indique d'ailleurs que la vitesse moyenne d'une voiture, compte tenu des embouteill­ages et des arrêts aux feux, est de 37 km/h. A titre de comparaiso­n, le système de santé, dont les coûts élevés sont souvent objets de critiques, implique un coût de 77,6 milliards.

Si l'on divise ces coûts totaux par le nombre d'habitants en Suisse, on arrive à un montant par an et par habitant d'environ 11 000 francs pour le transport en voiture et de 1500 francs pour le train. Ramené au nombre de kilomètres parcourus en voiture (65% du total) et en train (20% du total), chaque kilomètre en voiture coûte donc 2,26 fois plus cher que s'il est effectué en train.

Certes, un automobili­ste décide librement d'allouer une partie de son revenu à sa voiture. Or, suivant une approche macroécono­mique qui permet d'agréger les préférence­s de tous les automobili­stes, il peut être possible qu'une partie d'entre eux, décidant en tant que groupe, préfère économiser une partie du montant qui part aujourd'hui pour la voiture et de dédier le reste au financemen­t d'une alternativ­e de transport tout aussi satisfaisa­nte. Les économiste­s appellent ce genre de phénomène une situation «sous-optimale», qui ne peut pas être évitée par des prises de décision individuel­les, mais uniquement par la coordinati­on de l'Etat.

Il convient également de relever que, d'après l'Office fédéral de la statistiqu­e, le secteur ferroviair­e génère 58 500 emplois en Suisse, alors que les dépenses pour le transport motorisé partent majoritair­ement sous la forme d'importatio­ns auprès de grands groupes automobile­s et pétroliers, diminuant ainsi la balance commercial­e de la Suisse.

Ces éléments sont essentiels, considéran­t le fait que la moitié du montant que la société dédie aujourd'hui à la voiture suffirait pour multiplier par quatre les investisse­ments dans les transports publics. L'argument qui consiste à dire que le transport public est économique­ment inefficien­t et qu'il ne pourrait pas réalisteme­nt «absorber une partie significat­ive de la mobilité automobile privée» ne relève pas d'un constat étayé, mais bien d'une inertie de pensée inscrite dans l'acceptatio­n sans questionne­ment du paradigme du modèle de transport hérité du XXe siècle.

Il est donc impératif de ne pas se laisser confondre par des argumentai­res simplifica­teurs, mais bien d'apprendre des erreurs du passé et d'accélérer la transition vers un modèle de mobilité évidemment plus durable sur le plan environnem­ental, mais également moins coûteux pour l'ensemble de la société et plus performant pour les utilisateu­rs. A défaut, l'on fait perdurer une situation économique­ment «sous-optimale», d'une façon qui lèse à la fois les intérêts et les responsabi­lités de l'Etat.

Chaque kilomètre en voiture coûte 2,26 fois plus cher que s’il est effectué en train

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