Les faits sur l’efficacité économique des transports publics
Dans une chronique récemment parue dans les colonnes du Temps, Mme Miauton cherchait à expliquer ce qu'elle présentait comme «l'inefficacité économique des transports publics» et défendait que la voiture individuelle serait malgré tout le moyen de transport le plus viable économiquement. Le point central de son argumentaire consistait à expliquer qu'alors que les coûts liés à la route sont complètement payés par les automobilistes, les transports publics sont subventionnés à plus de 50% par les différentes collectivités – et donc peu viables économiquement.
Ces chiffres étant des pourcentages, ils ne renseignent pas sur les montants totaux des coûts de ces transports en Suisse. Ce point est toutefois capital vu les sommes en jeu. En effet, ces coûts étaient selon l'Office fédéral de la statistique de 72 milliards pour le transport routier motorisé et de 11 milliards pour le ferroviaire, pris en charge par le secteur public à hauteur respectivement de 8,1 milliards pour la route et 8,4 milliards pour les transports publics (routiers et ferroviaires), le reste étant couvert par les dépenses directes des utilisateurs.
S'ajoutent aussi à ces montants les coûts des externalités négatives des transports (accidents, pollution, réchauffement climatique et bruit). Ceux-ci ont été mesurés par l'Office fédéral du développement territorial (ARE) à 15,8 milliards pour la route et à 1,1 milliard pour le rail, ramenant donc les coûts totaux des transports à 87,8 milliards pour la route et 9,5 milliards pour le rail. Ce même rapport indique d'ailleurs que la vitesse moyenne d'une voiture, compte tenu des embouteillages et des arrêts aux feux, est de 37 km/h. A titre de comparaison, le système de santé, dont les coûts élevés sont souvent objets de critiques, implique un coût de 77,6 milliards.
Si l'on divise ces coûts totaux par le nombre d'habitants en Suisse, on arrive à un montant par an et par habitant d'environ 11 000 francs pour le transport en voiture et de 1500 francs pour le train. Ramené au nombre de kilomètres parcourus en voiture (65% du total) et en train (20% du total), chaque kilomètre en voiture coûte donc 2,26 fois plus cher que s'il est effectué en train.
Certes, un automobiliste décide librement d'allouer une partie de son revenu à sa voiture. Or, suivant une approche macroéconomique qui permet d'agréger les préférences de tous les automobilistes, il peut être possible qu'une partie d'entre eux, décidant en tant que groupe, préfère économiser une partie du montant qui part aujourd'hui pour la voiture et de dédier le reste au financement d'une alternative de transport tout aussi satisfaisante. Les économistes appellent ce genre de phénomène une situation «sous-optimale», qui ne peut pas être évitée par des prises de décision individuelles, mais uniquement par la coordination de l'Etat.
Il convient également de relever que, d'après l'Office fédéral de la statistique, le secteur ferroviaire génère 58 500 emplois en Suisse, alors que les dépenses pour le transport motorisé partent majoritairement sous la forme d'importations auprès de grands groupes automobiles et pétroliers, diminuant ainsi la balance commerciale de la Suisse.
Ces éléments sont essentiels, considérant le fait que la moitié du montant que la société dédie aujourd'hui à la voiture suffirait pour multiplier par quatre les investissements dans les transports publics. L'argument qui consiste à dire que le transport public est économiquement inefficient et qu'il ne pourrait pas réalistement «absorber une partie significative de la mobilité automobile privée» ne relève pas d'un constat étayé, mais bien d'une inertie de pensée inscrite dans l'acceptation sans questionnement du paradigme du modèle de transport hérité du XXe siècle.
Il est donc impératif de ne pas se laisser confondre par des argumentaires simplificateurs, mais bien d'apprendre des erreurs du passé et d'accélérer la transition vers un modèle de mobilité évidemment plus durable sur le plan environnemental, mais également moins coûteux pour l'ensemble de la société et plus performant pour les utilisateurs. A défaut, l'on fait perdurer une situation économiquement «sous-optimale», d'une façon qui lèse à la fois les intérêts et les responsabilités de l'Etat.
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Chaque kilomètre en voiture coûte 2,26 fois plus cher que s’il est effectué en train