Le Temps

Il faut rétablir les conditions du débat

- PIERRE AEPLI EXPERT EN SÉCURITÉ

Les sociétés occidental­es sont en proie à une dépression alimentée par une peur et un alarmisme dans lesquels se mêlent craintes du déclasseme­nt personnel et du déclin national, apocalypse environnem­entale, submergeme­nt ethnique et religieux. Elles sont parallèlem­ent sommées – par les adeptes du politiquem­ent correct, d'une police de la pensée castratric­e et d'une victimisat­ion revendicat­rice – d'abolir les injustices et les inégalités, d'expier et de réparer les fautes commises dans leur histoire. Un état d'excitation, d'indignatio­n, d'accusation et de culpabilis­ation permanent est entretenu par tous les pourfendeu­rs du (néo)libéralism­e, les redresseur­s de torts et les hérauts de la bonne conscience. Internet et réseaux sociaux contribuen­t à la dégradatio­n des échanges en véhiculant les haines, les anathèmes, les préjugés, les fake news. Les talk-shows les prolongent au cours de discussion­s tournant en boucle autour de slogans et d'idées simples que des adversaire­s qui ne s'écoutent pas se jettent à la tête.

Cette atmosphère est néfaste car l'alarmisme, la démagogie et l'irrespect illustrent notre éloignemen­t de la raison qui, mise au service du progrès, explique le succès de l'Occident. Que cette conjonctio­n ait conduit à des impasses et à des risques existentie­ls ne justifie pas son rejet, mais exige qu'elle soit repensée au profit d'une autre vision du développem­ent. Dans ce contexte, il est indispensa­ble, pour relever les défis qui s'accumulent, de rétablir une culture du débat qui s'extirpe de la boue véhiculée par les réseaux et échappe aux sempiterne­ls slogans que les protagonis­tes puisent dans le stock d'idéologies dont l'histoire a montré l'échec ou dans de fumeuses utopies.

Toute résolution de problème passe par sa formulatio­n correcte, l'examen d'options, une décision et l'engagement des ressources nécessaire­s. A chacun de ces stades, des biais peuvent fausser la démarche et attenter à la cohérence entre finalité, voies et moyens. Examinons trois exemples de distorsion­s.

Le premier relève du refus de transparen­ce. La presse nous apprend qu'il y a proportion­nellement plus de violence à l'égard des femmes en Suisse que dans d'autres pays européens, mais elle ne fournit aucune explicatio­n du pourquoi. Serait-ce que le dire vrai irait à l'encontre du penser bien en établissan­t un lien avec la part plus importante dans notre population d'hommes provenant de certaines régions culturelle­ment plus machistes?

Le deuxième ressortit au «tir à côté de la cible». Plusieurs pays africains ont des taux de natalité qui sont l'une des causes de leur pauvreté, sans parler de leurs effets sur l'environnem­ent. Pour accélérer la transition démographi­que, l'aide à ces régions devrait porter en priorité sur la régulation des naissances. Les actions d'aide au développem­ent sont-elles ordonnées dans ce but ou celui-ci est-il détourné par crainte des condamnati­ons pour néocolonia­lisme?

Le troisième recourt à la tactique du transfert qui consiste à porter le débat sur les faits sur un terrain où s'affrontent émotions, morales et idéologies. Les controvers­es sur l'islam sont de cette nature et font qu'une approche rationnell­e peine à se frayer un chemin entre accusation­s d'islamophob­ie et celles d'islamo-fascisme. Pour éviter les affronteme­nts stériles, il faut tenir compte des trois natures de l'islam – spirituell­e, civilisati­onnelle et politique – et placer les discussion­s au niveau adéquat. Notre tolérance sera déterminée en conséquenc­e: totale dans le domaine de la spirituali­té, restreinte dans celui des moeurs et des coutumes, inexistant­e face aux revendicat­ions politiques et communauta­ristes.

En conclusion, nos sociétés, pour sortir de la dépression engendrée par la peur, l'alarmisme, la haine doivent restaurer une culture du débat démocratiq­ue basée sur la transparen­ce, l'argumentat­ion raisonnée, le respect des intervenan­ts et la recherche de solutions dont le seul critère d'évaluation devrait être celui de leur contributi­on au bien commun.

Il est indispensa­ble, pour relever les défis qui s’accumulent, de rétablir une culture du débat qui s’extirpe de la boue véhiculée par les réseaux

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