Il faut rétablir les conditions du débat
Les sociétés occidentales sont en proie à une dépression alimentée par une peur et un alarmisme dans lesquels se mêlent craintes du déclassement personnel et du déclin national, apocalypse environnementale, submergement ethnique et religieux. Elles sont parallèlement sommées – par les adeptes du politiquement correct, d'une police de la pensée castratrice et d'une victimisation revendicatrice – d'abolir les injustices et les inégalités, d'expier et de réparer les fautes commises dans leur histoire. Un état d'excitation, d'indignation, d'accusation et de culpabilisation permanent est entretenu par tous les pourfendeurs du (néo)libéralisme, les redresseurs de torts et les hérauts de la bonne conscience. Internet et réseaux sociaux contribuent à la dégradation des échanges en véhiculant les haines, les anathèmes, les préjugés, les fake news. Les talk-shows les prolongent au cours de discussions tournant en boucle autour de slogans et d'idées simples que des adversaires qui ne s'écoutent pas se jettent à la tête.
Cette atmosphère est néfaste car l'alarmisme, la démagogie et l'irrespect illustrent notre éloignement de la raison qui, mise au service du progrès, explique le succès de l'Occident. Que cette conjonction ait conduit à des impasses et à des risques existentiels ne justifie pas son rejet, mais exige qu'elle soit repensée au profit d'une autre vision du développement. Dans ce contexte, il est indispensable, pour relever les défis qui s'accumulent, de rétablir une culture du débat qui s'extirpe de la boue véhiculée par les réseaux et échappe aux sempiternels slogans que les protagonistes puisent dans le stock d'idéologies dont l'histoire a montré l'échec ou dans de fumeuses utopies.
Toute résolution de problème passe par sa formulation correcte, l'examen d'options, une décision et l'engagement des ressources nécessaires. A chacun de ces stades, des biais peuvent fausser la démarche et attenter à la cohérence entre finalité, voies et moyens. Examinons trois exemples de distorsions.
Le premier relève du refus de transparence. La presse nous apprend qu'il y a proportionnellement plus de violence à l'égard des femmes en Suisse que dans d'autres pays européens, mais elle ne fournit aucune explication du pourquoi. Serait-ce que le dire vrai irait à l'encontre du penser bien en établissant un lien avec la part plus importante dans notre population d'hommes provenant de certaines régions culturellement plus machistes?
Le deuxième ressortit au «tir à côté de la cible». Plusieurs pays africains ont des taux de natalité qui sont l'une des causes de leur pauvreté, sans parler de leurs effets sur l'environnement. Pour accélérer la transition démographique, l'aide à ces régions devrait porter en priorité sur la régulation des naissances. Les actions d'aide au développement sont-elles ordonnées dans ce but ou celui-ci est-il détourné par crainte des condamnations pour néocolonialisme?
Le troisième recourt à la tactique du transfert qui consiste à porter le débat sur les faits sur un terrain où s'affrontent émotions, morales et idéologies. Les controverses sur l'islam sont de cette nature et font qu'une approche rationnelle peine à se frayer un chemin entre accusations d'islamophobie et celles d'islamo-fascisme. Pour éviter les affrontements stériles, il faut tenir compte des trois natures de l'islam – spirituelle, civilisationnelle et politique – et placer les discussions au niveau adéquat. Notre tolérance sera déterminée en conséquence: totale dans le domaine de la spiritualité, restreinte dans celui des moeurs et des coutumes, inexistante face aux revendications politiques et communautaristes.
En conclusion, nos sociétés, pour sortir de la dépression engendrée par la peur, l'alarmisme, la haine doivent restaurer une culture du débat démocratique basée sur la transparence, l'argumentation raisonnée, le respect des intervenants et la recherche de solutions dont le seul critère d'évaluation devrait être celui de leur contribution au bien commun.
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Il est indispensable, pour relever les défis qui s’accumulent, de rétablir une culture du débat qui s’extirpe de la boue véhiculée par les réseaux