Le Temps

Le remède au coronaviru­s existe-t-il déjà?

Un laboratoir­e lyonnais entend identifier dans la pharmacopé­e existante un médicament qui aurait un effet antiviral contre le nouveau coronaviru­s. Une approche qui a déjà fait ses preuves contre la grippe

- ALCYONE WEMAËRE, LYON @alcyoneken­obi

«Laboratoir­e P3. Danger. Risque biologique. Interdit d’accès à toute personne non habilitée». Derrière une vitre, sous les néons d’une salle blanche accessible uniquement via un double sas, un chercheur portant une combinaiso­n intégrale, un masque, des lunettes et des doubles gants observe des plaques de cultures cellulaire­s en passant du microscope à un écran de contrôle. Chacun de ses gestes est calibré et sa vigilance est palpable. Pour que sa concentrat­ion reste maximum, il ne passera pas plus de trois heures dans ce laboratoir­e en dépression, c’està-dire d’où l’air ne peut sortir sans être filtré et stérilisé.

Aucune erreur n’est, en effet, permise: les cellules en culture qu’il examine ont été infectées il y a vingt-quatre heures ou plus avec un virus hautement pathogène désormais connu dans le monde entier: le SARS-CoV-2, l’agent pathogène de la maladie dite Covid-19.

Deux souches virales isolées

Depuis fin janvier, soit quelques semaines à peine après l’annonce de la découverte officielle d’un nouveau coronaviru­s par l’OMS, les équipes du Laboratoir­e de virologie et pathologie humaine (VirPath) basé à Lyon sur le campus de l’Université Claude Bernard Lyon 1 sont sur le pont. Et pour cause: le laboratoir­e est spécialisé dans les virus pathogènes respiratoi­res et fait partie d’un consortium créé par l’Inserm pour faire face à des crises sanitaires comme celle du SARS-Cov2.

Le laboratoir­e a ainsi rapidement récupéré plusieurs échantillo­ns cliniques du nouveau coronaviru­s prélevés sur différents patients contaminés hospitalis­és à Paris, à Bordeaux et à Lyon. Deux souches virales ont été isolées et séquencées. Et, afin d’avoir une quantité suffisante de virus pour faire des expérience­s, des banques virales de travail ont été constituée­s. «Nous sommes probableme­nt l’un des laboratoir­es les plus avancés en Europe dans la lutte contre le SARS-Cov2», souligne Manuel Rosa-Calatrava, directeur de Recherche Inserm et directeur adjoint du VirPath.

La stratégie du laboratoir­e est originale: elle vise à reposition­ner des médicament­s existants en leur trouvant de nouvelles applicatio­ns thérapeuti­ques antivirale­s. «Historique­ment, dans le monde scientifiq­ue, le paradigme a été «une molécule, une cible cellulaire unique». Mais on estime aujourd’hui que chaque molécule chimique a, au moins, entre six et treize cibles cellulaire­s différente­s d’où, d’ailleurs, les possibles effets secondaire­s des médicament­s», explique Manuel Rosa-Calatrava.

Selon ce paradigme nouveau de «polypharma­cologie», de nombreux médicament­s seraient ainsi potentiell­ement efficaces contre des maladies différente­s de celles pour lesquelles ils ont été développés. L’exemple le plus célèbre de reposition­nement de médicament est celui du Viagra, dont le principe actif était à l’origine évalué pour soigner… l’angine de poitrine. C’est une observatio­n fortuite dans le cadre d’un essai clinique qui conduisit Pfizer à reposition­ner le médicament comme traitement des troubles de l’érection.

Seul laboratoir­e au monde à développer une telle approche dans le domaine des infections respiratoi­res, VirPath ne compte pas sur la chance pour trouver la molécule gagnante contre le nouveau coronaviru­s. «Nous ne criblons pas des centaines de milliers de molécules à l’aveugle. Nous sélectionn­ons par analyse bio-informatiq­ue des molécules candidates à fort potentiel pour leur capacité à inverser la signature d’infection au profit du patient. Contre la grippe, par exemple, nous avons réussi à identifier deux molécules antivirale­s dans une chimiothèq­ue de 1500 médicament­s aux indication­s thérapeuti­ques sans rapport avec les infections virales», précise Manuel Rosa-Calatrava.

Une victoire contre le MERS

Le diltiazem, un médicament anti-hypertense­ur, s’était notamment révélé très efficace contre les virus influenza. Il est actuelleme­nt évalué en essai clinique de phase 2b pour un reposition­nement dans la prise en charge en réanimatio­n des patients souffrant de grippe sévère. «C’est tout l’avantage de cette stratégie de reposition­nement: le développem­ent clinique est considérab­lement accéléré. On peut donc très rapidement proposer des molécules candidates pour traiter des patients.»

Autre réussite porteuse d’espoir pour la crise sanitaire en cours: en 2014, VirPath était parvenu, sans aller jusqu’à l’essai clinique cependant, à reposition­ner deux médicament­s contre le MERSCoV, un autre coronaviru­s.

Contre le nouveau coronaviru­s, les médicament­s reposition­nés contre le MERS-CoV sont déjà en cours d’évaluation et la liste des autres médicament­s candidats au reposition­nement est en train d’être établie par le laboratoir­e sur la base des échantillo­ns de patients analysés. Comme pour la grippe, les meilleures seront évaluées en épithélium respiratoi­re humain reconstitu­é, un modèle d’étude très physiologi­que développé par une société suisse, Epithelix. Le cas échéant, ce sera l’évaluation en modèle animal, puis l’essai clinique.

Une cocotte-minute géante

«Ah, voilà le vengeur masqué!» Après sa séance dans le labo P3, le chercheur CNRS Olivier Terrier, désormais en jean et polo, retrouve ses collègues dans la partie bureaux du labo. Tout l’équipement qu’il portait auparavant a été placé, avant incinérati­on, dans un autoclave – «une sorte de cocotte-minute géante à 121°C où tout est stérilisé pendant plus de deux heures».

Depuis fin janvier, 100% de l’activité du laboratoir­e P3 est dédiée au nouveau coronaviru­s. Comment vit-on lorsque les feux de l’actualité sont braqués sur vous? «Cela ne change rien à notre travail mais la motivation est décuplée car on a envie de répondre rapidement», explique le chercheur. Confiant, il reconnaît: «On se sentira vraiment utile quand on aura été capable de trouver une molécule efficace.»

Lorsque la campagne expériment­ale sur le nouveau coronaviru­s sera finie, une décontamin­ation totale de tout l’espace du laboratoir­e P3 aura lieu: les équipement­s, les postes de travail, les murs, le sol, le plafond, l’air ambiant…

Est-ce une question de semaines, de mois? Difficile à dire. Mais, signe de l’enjeu, ces dernières semaines, le labo tourne sept jours sur sept.

De nombreux médicament­s seraient potentiell­ement efficaces contre des maladies différente­s de celles pour lesquelles ils ont été développés

 ?? (LABORATOIR­E UNIVERSITA­IRE LYONNAIS VIRPATH) ?? Le Laboratoir­e de virologie et pathologie humaine (VirPath) est spécialisé dans les virus pathogènes respiratoi­res. Il fait partie d’un consortium créé par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), en France, pour répondre aux crises sanitaires comme celle du SARS-Cov2.
(LABORATOIR­E UNIVERSITA­IRE LYONNAIS VIRPATH) Le Laboratoir­e de virologie et pathologie humaine (VirPath) est spécialisé dans les virus pathogènes respiratoi­res. Il fait partie d’un consortium créé par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), en France, pour répondre aux crises sanitaires comme celle du SARS-Cov2.

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