Pourquoi les ICO étaient un jeu de l’avion 2.0
C’est un grand classique de ces nouveaux modes de financement que sont les ICO et les STO, des levées de fonds en échange de jetons numériques. On constate très souvent une baisse du cours de ces tokens après la phase d’investissement. De quoi décourager l’investisseur potentiel, alors que ces méthodes de financement promettent simplicité et efficacité? Une partie de la réponse est peut-être à chercher du côté des investisseurs eux-mêmes, qui pourraient réfléchir à ce qu’ils recherchent vraiment lorsqu’ils acquièrent des jetons numériques.
Le 2 février dernier, l’équipe d’Angleterre de rugby a été battue par la France dans le cadre du Tournoi des Six Nations. Après la rencontre, les médias se sont demandé si ce résultat n’avait pas été causé par les déclarations de l’entraîneur des Anglais, vice-champions du monde trois mois plus tôt. Lequel avait affirmé vouloir faire du XV de la Rose la meilleure équipe de l’histoire du rugby. Arrogant? Contre-productif? Un joueur anglais a trouvé une réponse plus terre à terre: «Qu’est-ce que notre coach aurait pu nous dire d’autre? De devenir la 12e meilleure équipe de l’histoire? Cela aurait été probablement nettement moins motivant…»
Le même phénomène est à l’oeuvre avec les start-up, qui cherchent à lever de l’argent. Elles sont dans les faits condamnées à viser haut pour motiver l’investisseur qui sait bien, dans un coin de sa tête, que mettre de l’argent dans une jeune pousse est risqué. Il faut donc lui faire miroiter de grandes choses pour qu’il dépasse cette barrière psychologique. Ça tombe bien, les nouvelles technologies repoussent les frontières de ce qu’on croyait possible: intelligence artificielle, machine learning, blockchain, etc. Le champ des possibles s’est énormément élargi.
En parallèle, la mentalité de l’individu moyen a elle aussi évolué. Internet a créé la société de l’immédiat. Pratiquement tout est à portée de clic, qu’il s’agisse d’accéder à n’importe quel contenu ou de se faire livrer à peu près n’importe quoi. Il suffit d’installer une application et toute demande se trouve exaucée sans accroc. Et très souvent, instantanément. On finirait par croire que tout projet doit être concrétisé rapidement.
Frustration garantie
En finance, la conjonction de ces tendances a créé les ICO, les «Initial Coin Offerings». Ce mode de financement en échange de jetons, devenu très populaire au milieu des années 2010, permettait en théorie à n’importe qui de financer n’importe quel projet. En un clic ou deux. L’outil a créé une concurrence entre les start-up qui voulaient l’utiliser. Cela a donné une surenchère dans les ambitions: devenir le futur Amazon (mais en mieux) ou la future banque privée (aussi en mieux). De quoi créer un engouement et se faire connaître des investisseurs potentiels.
Ce mécanisme a satisfait le désir des investisseurs de placer leurs paris immédiatement. Mais il s’est aussi heurté à leur exigence de voir des résultats tout aussi immédiatement. Car construire une entreprise prend du temps. Numérique ou pas, la baguette magique reste à inventer.
Souvent, les technologies présentées par les entrepreneurs n’étaient finalement pas si prêtes. Il se peut aussi que, dans l’expression «proche du stade industriel», des investisseurs n’aient retenu que «stade industriel». Et que le temps d’y parvenir leur paraisse insupportable. Ce qui a multiplié les frustrations.
Surtout, les ICO ont placé les investisseurs dans le rôle délicat du capital-risqueur. Quelqu’un qui prend un risque considérable dans la perspective d’un gain important à moyenne ou longue échéance. Mais les boursicoteurs des ICO ne recevaient pas les moyens de contrôler ce qui se passait au sein de l’entreprise. Et encore moins de l’influencer. Contrairement aux venture capitalists, qui siègent souvent au conseil d’administration.
Dans la pratique, les jetons numériques obtenus à travers des ICO ne conféraient aucun droit à leurs détenteurs, qui n’étaient ni actionnaires ni créanciers. Leurs investissements étaient techniquement des donations, reposant sur le bon vouloir des entrepreneurs.
Bien sûr, les ICO ont donné lieu à d’innombrables fraudes et promesses que personne n’a jamais envisagé de tenir. Mais même pour les projets sains et honnêtes, de nombreux boursicoteurs n’y ont vu qu’une nouvelle chaîne de Ponzi ou une sorte de jeu de l’avion 2.0.
Dans ce cas, ils n’ont pas misé sur un projet d’entreprise, mais sur la capacité des entrepreneurs à trouver d’autres investisseurs, à l’avenir. Ce qui soutiendrait la demande de jetons, et donc leur prix. Mais pour que cette mécanique fonctionne, il faut aussi délivrer des progrès concrets, au moins des succès d’étape. Si ces derniers tardent, l’édifice s’effondre.
C’est ce qui est arrivé à LakeDiamond, la start-up à laquelle Le Temps s’est beaucoup intéressé récemment. Et dont l’ICO n’a pas été menée de façon exemplaire, ce qui suscite maintenant la colère de certains investisseurs.
C’est aussi ce qui a provoqué l’abandon des ICO ces dernières années au profit des STO – des Security Token Offerings, c’està-dire l’acquisition de valeurs mobilières accolées à un support numérique. Régi par un cadre réglementaire et accordant des droits. Ce sera un pas en avant si les investisseurs qui acquièrent des jetons décident d’utiliser les droits qui vont avec. Et s’ils se comportent en actionnaires plutôt qu’en passagers clandestins mais avides.
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