Le Temps

Huile de palme: un protection­nisme sournois

- PIERRE BESSARD DIRECTEUR DE L’INSTITUT LIBÉRAL, GENÈVE ET ZURICH

La mauvaise foi des intérêts subvention­nés et protégés par l’Etat est parfois déconcerta­nte. En témoigne la campagne des milieux éco-agricoles contre l’accord (entériné par le parlement en fin d’année dernière) entre l’Associatio­n européenne de libre-échange, dont la Suisse est le moteur, et l’Indonésie. En cause: l’huile de palme, érigée en épouvantai­l. Selon les opposants, il n’y aurait pas d’huile de palme «durable». La réalité semble beaucoup plus nuancée, mais ce qui est certain, c’est que les agriculteu­rs suisses luttent avant tout pour leurs produits: on assiste à une velléité protection­niste à l’encontre de la division internatio­nale du travail, aux dépens des consommate­urs.

La recherche montre en effet que les arguments usuels contre l’huile de palme sont pour l’essentiel fabriqués: le gouverneme­nt indonésien a par exemple déclaré permanent un moratoire sur l’exploitati­on de plus de 66 millions d’hectares de forêt. Ces zones forestière­s protégées représente­nt plus de quinze fois la superficie de la Suisse. Même en tenant compte de la taille relative, il s’agit d’un engagement majeur: selon les données des Nations unies, l’Indonésie protège 50% de ses terres en forêt, contre 32% pour la Suisse. Si la protection absolue de l’environnem­ent n’est possible qu’avec un degré élevé de prospérité et donc de liberté économique, et qu’une population ne peut guère s’interdire de produire pour vivre, l’Indonésie déploie déjà des efforts considérab­les pour limiter la déforestat­ion.

A cela s’ajoute que, depuis dix ans, une part croissante des exploitati­ons d’huile de palme sont certifiées durables: dans le cas de l’Indonésie, la totalité de la production de 15 millions de tonnes par an est certifiée par le gouverneme­nt indonésien via la norme «Indonesian Sustainabl­e Palm Oil» (ISPO), par la certificat­ion approuvée par les ONG «Roundtable on

Sustainabl­e Palm Oil» (RSPO) ou par l’«Internatio­nal Sustainabi­lity and Carbon Certificat­ion» (ISCC).

Malgré toute la sympathie que l’on peut éprouver pour l’habitat des orangs-outans et des tigres, que l’on connaît surtout à travers les documentai­res regardés de son fauteuil, il serait donc tout à fait déplacé de suggérer que les paysans indonésien­s doivent donner la priorité à la faune plutôt qu’à l’existence de leurs familles. Surtout, ce n’est pas en limitant leurs débouchés internatio­naux qu’on leur permettra de disposer de suffisamme­nt de ressources pour améliorer leur productivi­té et passer progressiv­ement à de meilleures méthodes de production.

Victime d’un marketing trompeur de concurrent­s

L’huile de palme en elle-même est également critiquée à tort. Elle ne se substitue pas à d’autres huiles qui peuvent être préférées dans la cuisine ou la production alimentair­e industriel­le, mais comporte d’importants avantages environnem­entaux et nutritionn­els par rapport à certaines sources de graisse. Elle est d’abord très économique, car la quantité produite par hectare cultivé est élevée. Par ailleurs, elle permet de renoncer aux graisses partiellem­ent hydrogénée­s, d’une teneur problémati­que en acides gras trans.

En l’occurrence, la stigmatisa­tion de cette huile ne repose sur aucun fait scientifiq­ue: il semble qu’elle ait été la victime du marketing trompeur de producteur­s concurrent­s et d’organisati­ons environnem­entalistes dont le soutien dépend de sensations.

Or le protection­nisme est doublement néfaste en matière de durabilité: il ralentit les progrès des exploitati­ons locales dans les pays en développem­ent en les empêchant de prospérer, tout en encouragea­nt une surexploit­ation en Occident.

L’inefficien­ce notoire des exploitati­ons suisses laisse présager du bilan réel derrière la rhétorique et les spots publicitai­res des lobbies agricoles. Cependant, les négociateu­rs suisses ont obtenu un quota politique pour l’huile de palme: une concession malheureus­e qui s’inscrit à l’encontre d’un véritable libre-échange, mais cela signifie qu’il n’y a aucune raison de penser que l’accord avec l’Indonésie puisse impacter négativeme­nt l’agricultur­e suisse.

Les enjeux pour l’économie sont ailleurs: l’accord de libre-échange avec l’Indonésie ferait économiser aux entreprise­s suisses jusqu’à 25 millions de francs de droits de douane par an, sans compter le potentiel d’avenir d’un marché de 265 millions de consommate­urs. Au-delà de ces avantages, l’opposition protection­niste revêt une dimension questionna­ble sur le plan moral, car elle s’attaque sournoisem­ent à l’existence de 8 millions de personnes – 3,5% de la main-d’oeuvre indonésien­ne, dont la majorité est composée de petits producteur­s.

L’industrie de l’huile de palme contribue sensibleme­nt à la réduction de la pauvreté, au relèvement des revenus et à l’améliorati­on de la santé et de la formation de la population indonésien­ne. Vouloir prendre en otage par la force de la loi le consommate­ur suisse pour empêcher cette concurrenc­e loyale et se reposer sur l’oreiller de paresse de la subvention et de la protection trahissent la perte de repères de lobbies et d’activistes peut-être aveuglés par leurs privilèges.

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