Le Temps

«Baisser les coûts suppose moins d’hôpitaux»

Le nouveau patron du Groupe Mutuel, Thomas Boyer, rejette vivement les attaques cantonales sur le manque de transparen­ce des assureurs. Il appelle, en revanche, à clarifier le financemen­t hospitalie­r

- PROPOS RECUEILLIS PAR RACHEL RICHTERICH @RRichteric­h

Dans sa main pendant l’entretien, Thomas Boyer tient fermement plusieurs feuilles A4, bardées de notes dactylogra­phiées. Le nouveau directeur général du Groupe Mutuel s’est préparé à toutes les questions pièges auxquelles il pourrait avoir à répondre: cherté des primes, réserves des assureurs, rémunérati­on des courtiers et coûts de la santé. Arrivé aux commandes de l’entreprise en août, après des années marquées par un effondreme­nt du nombre d’assurés, ce diplômé en gestion d’entreprise livre sa vision de l’assurance de demain.

Vous avez pris vos fonctions dans un contexte tourmenté, après la perte de 300 000 assurés en trois ans. Comment se sont passés ces débuts? Nous sommes parvenus à inverser la tendance l’an dernier. Les chiffres, encore provisoire­s, montrent une légère hausse, à plus de 1,3 million d’assurés individuel­s, soit quelques milliers de plus que l’année précédente. Malgré un léger recul d’environ 10000 assurés dans l’assurance de base, nous enregistro­ns une hausse de plus de 15000 assurés dans les complément­aires.

Dans la course aux parts de marché à coups de rabais de primes, c’est la relation au client qui a été négligée? Nous avons été dans une phase de conquête pendant de très nombreuses années, aujourd’hui, pour moi, la priorité absolue, c’est de servir nos clients. La technologi­e a modifié les niveaux d’attente, en termes de rapidité et d’accessibil­ité, sur tous les types de plateforme­s, y compris les agences, qui sont un élément primordial pour notre métier basé sur le conseil. Nous allons d’ailleurs continuer à investir et développer notre réseau de distributi­on. Mais je ne peux pas articuler de chiffre pour le moment, nous devons communique­r en interne, il faudra attendre ce printemps.

Dans quelles régions et quels segments de l’assurance voyez-vous du potentiel de croissance? Dans la prévoyance, nous totalisons 2 milliards de francs sous gestion et allons continuer de nous développer. Quant aux régions, nous avons une part de 26% du marché en Suisse romande, une clientèle que nous cherchons à fidéliser. Le potentiel de croissance se trouve outre-Sarine, où nous n’occupons que 8% du marché.

Venons-en aux coûts: dans une initiative conjointe, Vaud et Genève veulent lier les primes maladie aux coûts réels de la santé. Cela sous-entend qu’il existe aujourd’hui une divergence? Cette initiative est perverse, selon moi, car elle revient à créer une caisse unique déguisée. En obligeant toutes les caisses à augmenter les primes selon l’évolution des coûts et selon les régions de manière uniforme, on lisse les montants des primes et donc toute possibilit­é de concurrenc­e. Je ne crois pas aux monopoles et à leur capacité à faire baisser les prix.

Je vois un autre problème à cette initiative, cette fois dans sa mise en oeuvre: actuelleme­nt, les primes sont calculées en fonction d’une projection de ce que pourraient être les coûts pour l’année à venir. Or pour pouvoir les lier aux coûts réels, il faudrait attendre de les connaître. Est-ce qu’un médecin ou un hôpital acceptera d’être payé douze mois plus tard? Trouvons d’autres pistes.

Lesquelles? Financemen­ts hospitalie­r et ambulatoir­e devraient être uniformisé­s, avec une participat­ion des cantons dans les deux cas. Le transfert toujours plus marqué vers l’ambulatoir­e contribue à diminuer les coûts. Mais ceux-ci ne devraient pas être assumés uniquement par le payeur de primes, respective­ment l’assureur, sinon cela se traduit par une hausse de primes. J’espère que le parlement tranchera en faveur d’un équilibre.

La planificat­ion hospitaliè­re doit également être repensée, en passant d’une logique purement cantonale, qui implique que chaque canton possède son propre hôpital, à une vision supra-régionale. Nous avons actuelleme­nt plus de 180 hôpitaux pour les soins aigus. Il faudra réduire le nombre d’établissem­ents à terme.

Enfin, les médicament­s. Ils sont encore beaucoup trop chers en Suisse. L’OFSP devrait pouvoir négocier des tarifs plus bas. Ou l’assuré devrait pouvoir, avec une ordonnance médicale suisse, aller acheter ses médicament­s là où ils sont moins chers, en France par exemple.

Qu’en est-il des réserves des assureurs, que les deux cantons romands veulent plafonner, appelant à davantage de transparen­ce? Je n’ai aucun problème avec la transparen­ce, le débat est sain. De manière générale, l’assureur ne décide pas seul, c’est un processus extrêmemen­t encadré par un organe de surveillan­ce, l’OFSP, qui tient son rôle. Les cantons devraient plutôt balayer devant leur porte et apporter un peu de clarté sur leur subvention­nement aux hôpitaux, dont les montants varient fortement d’un canton à l’autre. Il n’existe pas de définition uniforme de ces prestation­s d’intérêt général (PIG), ni de leur utilisatio­n. Comment se fait-il par exemple qu’un contribuab­le vaudois paie 800 francs via ses impôts pour subvention­ner les hôpitaux, contre 14 francs pour un citoyen valaisan?

Concernant les réserves, la philosophi­e est juste: un assureur ne devrait pas constituer davantage de réserves que celles nécessaire­s à garantir la couverture des prestation­s pour ses assurés. Mais je ne suis pas favorable à des règles contraigna­ntes qui limitent la marge de manoeuvre des assureurs, ce qui, au final, se traduit par une limitation du choix pour les clients.

C’est par un aveu de manquement à l’autorégula­tion que vous avez décidé conjointem­ent avec 39 autres assureurs de plafonner les commission­s des courtiers? Je ne veux pas refaire le passé, j’essaie de me projeter dans l’avenir. Concernant l’accord de branche, je suis très satisfait que des règles du jeu claires aient été définies, y compris dans les commission­s versées aux courtiers [limitées à 70 francs au maximum dans l’assurance de base et à l’équivalent d’une prime annuelle dans les assurances maladie complément­aires, ndlr]. Le Groupe Mutuel soutient depuis le début cet accord. Cela amènera plus de transparen­ce, renforcera la qualité du conseil et permettra de mettre fin aux appels téléphoniq­ues non sollicités.

L’une des conséquenc­es de cette initiative serait, d’après eux, qu’ils ne travaillen­t plus qu’avec les assureurs les plus chers. Combien représente­nt-ils en termes d’apport d’affaires? Je ne crois pas que les citoyens soient dupes. Ils sont renseignés, indépendan­ts et ne seront pas d’accord de payer plus cher uniquement pour enrichir certains courtiers malintenti­onnés. Dans l’assurance de base, cette question ne se posera pas puisque la commission maximum sera de 70 francs par affaire. Et pour les assurances complément­aires, je fais confiance à la concurrenc­e, qui jouera pleinement son rôle avec moins de faux incitatifs.

Aujourd’hui, les intermédia­ires en assurances représente­nt un ou deux tiers des affaires apportées, un chiffre qui varie beaucoup, selon les compagnies d’assurances. Dans le futur, cette proportion diminuera certaineme­nt.

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(OLIVIER VOGELSANG POUR LE TEMPS) Thomas Boyer: «Le potentiel de croissance se trouve outre-Sarine.»

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