Ce que Jean Piaget dirait de l’assistance vidéo dans le football
Il y a des situations qui méritent d’être traitées autrement qu’en adoptant la posture du pour ou du contre. La discussion autour du VAR dans le football devrait être abordée dans cet état d’esprit favorisant réflexion et recherche de solutions. Jean Piaget nous a enseigné que, face à un problème, il convient de considérer plusieurs points de vue à la fois pour ensuite en obtenir une synthèse qui va au-delà des positions initiales.
Première évidence: comme pour le tennis, la technologie sur la ligne de but (goal-line technology (GDL), ou goal decision system) est logique et nécessaire. Ce système ne peut que faire l’unanimité, il n’y a pas de doute possible. La machine décide si le ballon est entré ou pas, dans le stade, le message qui s’affiche (but ou pas but) est clair et non contestable. En aucun cas l’arbitre ne peut réviser la décision du GDL. Mais le GDL n’est pas le VAR!
L’assistance vidéo à l’arbitrage (VAR) est un dispositif qui permet à des arbitres assistants vidéo d’intervenir en aidant l’arbitre central. Le VAR peut être consulté pour quatre situations: valider ou pas un but, siffler ou pas un penalty, infliger ou non un carton rouge et, enfin, vérifier l’identité d’un joueur sanctionné. Le recours au VAR est géré par l’arbitre qui seul prend la décision de le consulter. Limité à des situations clairement définies, cet outil a été récemment de plus en plus remis en question, les critiques ayant fait suite à l’enthousiasme des premiers temps. Pourquoi?
L’illusion de la «justice» parfaite
Pour ceux qui sont très favorables au VAR, il faudrait même l’élargir à d’autres situations (par exemple le horsjeu) ou l’élever au rang de juge suprême: les arbitres seraient des techniciens vidéo sur le terrain entraînés à décider sur la base des images, sifflant et interrompant le jeu à chaque fois que le directoire qui gère ses images le signale. D’ailleurs, ces images au super-ralenti montrent une réalité que l’arbitre (et les joueurs, et les spectateurs) ne peut pas voir et remettent en cause jugements, estimations, interprétations de l’oeil humain. Parler d’environnement déshumanisé est-il trop fort?
Pour les réticents à cet élargissement du VAR, la promotion des notions d’acceptation et de tolérance de l’erreur humaine est une évidence. Ces notions font partie intégrante du spectacle sportif, mais les erreurs arbitrales (au demeurant fort peu nombreuses) sont très mal acceptées par les joueurs, les entraîneurs, les dirigeants et les spectateurs; elles sont aussi sanctionnées par la presse et par les instances arbitrales supérieures.
Les arbitres, du moins au début, ont été ravis de son introduction, la considérant comme une aide pour d’éventuels jugements erronés. En Serie A italienne, le pourcentage d’erreurs arbitrales est passé de 5,6 à 1% après un an d’utilisation. Qui dit mieux?
Le football dans sa complexité, dans ses subtilités, dans ses actions imprévisibles aussi ne peut être jugé que par la seule technologie. L’interprétation de l’acte, le contexte de l’action, le climat même du match font partie du ressenti de l’arbitre, des joueurs aussi. L’arbitre demeure le dernier décisionnaire, et même si l’introduction du VAR est une avancée, il est important de rappeler que toute image est sujette à interprétation.
Le fair-play, outil de la performance
L’arbitre et le VAR ne sont pas les seuls acteurs de la régularité d’un match: les joueurs dans leur façon de réagir aux décisions arbitrales, les dirigeants (entraîneurs, présidents, etc.) filmés lors de situations douteuses avec des attitudes peu solidaires avec l’arbitre en sont responsables. Cette situation incertaine et très anxiogène s’apaise par l’illusion de pouvoir tout contrôler. D’où la recherche d’un outil qu’on a pensé infaillible: la justice sportive par le VAR, bien plus fiable que l’arbitre. Une illusion…
Le progrès technologique de ces 30 dernières années a contribué au dogme du tout contrôle. Il a certes permis la réduction de la tricherie, des coups bas, des tacles assassins, qui sont désormais, hélas, plus présents au niveau amateur. Le VAR est un outil de plus à disposition de l’arbitre, mais c’est le comportement de ceux qui sont sur le terrain qui est déterminant pour sauvegarder ce jeu simple et universel: joueurs et arbitres signent un pacte de respect mutuel. Ce n’est pas de l’angélisme que de dire que le spectacle est préservé si ces acteurs collaborent.
La capacité d’accepter une décision retenue injuste fait partie des compétences de l’athlète. Gérer l’adversité est un levier même pour la victoire. Voilà pourquoi le fairplay est une attitude à promouvoir: il a le mérite de placer au centre la responsabilité humaine plutôt que le recours à la technologie, sans pour autant en nier son apport.
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