«Les Huguenots», c’est une Fête des Vignerons à la française»
Le conférencier vient présenter le mastodonte de Meyerbeer. La plongée dans la partition intégrale sera assurée par Marc Minkowski à la baguette et le duo de metteurs en scène Jossi Wieler et Sergio Morabito. Evénement attendu
On ne les a plus croisés à Genève depuis 1927. Voilà qui est surprenant pour la plus protestante des villes romandes, calviniste de surcroît. Les Huguenots reviennent enfin sous le Jet d’eau, qu’on se le dise. Et en grand, puisque sans coupures annoncées. Avec les entractes, chaque soirée durera environ cinq heures. Cette dimension explique la rareté du 11e opus lyrique de Giacomo Meyerbeer, sur les 17 qu’il a produits.
Mais la longueur n’effraie pas Georges Schürch, président du Cercle romand Richard Wagner de Genève et conférencier apprécié. Sa fréquentation assidue du grand Richard a fait de lui un marathonien de la conférence musicale. Présenter Les Huguenots est un plaisir pour l’ancien pédagogue et directeur de l’enseignement secondaire. L’explication, la transmission, le partage de la découverte et le feu de la narration font partie de son ADN.
On retrouvera sa haute silhouette blanche et son humour British ce soir, au foyer du Grand Théâtre, pour une mise en appétit d’avant-spectacle. La pratique lui semble d’autant plus nécessaire que «les mélomanes d’aujourd’hui n’ont plus, ou ne prennent plus, le temps de se documenter avant d’entrer dans la salle. Les surtitres ont un peu rendu le public paresseux…»
Qu’attendre de cette oeuvre? Les Huguenots est un objet scénique remarquable, véritable emblème du grand opéra romantique français. Meyerbeer se positionne à la croisée des chemins en précurseur. Enraciné dans l’héritage du bel canto italien, il s’appuie sur le style français et annonce la Durchführung wagnérienne, cette traversée ininterrompue d’un seul flux théâtral et musical. Il a lancé le genre d’«oeuvre d’art total», où tous les éléments sont liés les uns aux autres. Et parmi ses opéras les plus célèbres, dont on connaît surtout Robert le Diable, Le Prophète et L’Africaine, Les Huguenots répond au goût de l’époque. C’est-à-dire? En 1836, les bourgeois adoraient le grand spectacle. Ils se pressaient à l’Opéra de la rue Pelletier qui comptait 2000 places, pour y retrouver de belles voix et de la musique aux mélodies généreuses, des orchestres et des choeurs majestueux, des ballets divertissants. Ils appréciaient les costumes et les décors somptueux et très réalistes. Les destins amoureux et historiques se devaient d’être exceptionnels. Les spectateurs goûtaient les fresques puissantes, le gigantisme, genre péplum. Ce type de spectacle attirait les foules. Les Huguenots, c’est un peu une Fête des Vignerons à la française.
Quelles sont les particularités de la partition? Meyerbeer travaillait la masse orchestrale en profondeur. Il était si pointilleux qu’il a mis quatre ans pour finaliser son ouvrage, et ses relations avec le librettiste Scribe ont été très tendues à cause de modifications incessantes. Musicalement, il a développé la caractérisation instrumentale de façon exemplaire. Chaque rôle est annoncé ou personnalisé par une couleur identitaire ou un thème récurrent, dont Wagner fera notamment son miel avec ses leitmotivs. Le fameux Cantique de Luther, sorte de Marseillaise des protestants, représente les huguenots en les précédant ou en étant joué en fond pour rappeler leur présence. L’esprit religieux s’exprime aussi à travers une utilisation des vents qui résonne comme de l’orgue. La clarinette basse offre encore son rayonnement sombre à la voix grave de Marcel, avec qui on ne rigole pas. Et l’utilisation de la viole d’amour, ancêtre de l’alto, donne enfin à Raoul une délicatesse vibrante. A quoi peut-on s’attendre à Genève? Il ne devrait pas y avoir de relecture radicale, mais une traversée narrative par le biais du cinéma, qui permet des sauts dans l’espace, le temps et les angles de lecture. Je suis personnellement très intéressé par ce qu’en livrera Marc Minkowski, chef réputé pour son travail dans le domaine baroque. Proposera-t-il un retour à la façon de chanter et de jouer du XIXe siècle? Privilégiera-t-il les voix de tête ou de poitrine? Utilisera-t-il les cuivres naturels, le tuba ou l’ophicléide? Les cordes joueront-elles avec ou sans vibrato? Suivra-t-il les indications autographes et fera-t-il des recherches sur l’orchestration et les particularités désirées par Meyerbeer? Le fait que la viole d’amour a été prêtée par le musée des instruments anciens de Genève est déjà une belle indication.
«Les Huguenots» ont été critiqués par Wagner... Au début, Wagner était un grand admirateur de Meyerbeer, qui était célèbre, influent et bénéficiait d’une situation financière enviable. Ce dernier a fait tout ce qu’il pouvait pour aider le jeune compositeur. Mais le succès difficile et le manque de moyens du futur créateur du Ring ont probablement suscité de la jalousie. D’autres critiques concernaient la faiblesse du livret, un certain artifice d’effets musicaux et des invraisemblances historiques. Mais je les qualifie d’opportunes, car elles avaient pour but de romantiser l’histoire d’amour impossible et de dramatiser l’événement tragique de la Saint-Barthélemy.
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Les Huguenots, conférence de présentation au foyer du Grand Théâtre: mardi 25 à 18h15. Opéra les 26 et 28 février, 4, 6 et 8 mars à 18h. Le 1er mars à 15h. gtg.ch