Le coronavirus, nouveau talon d’Achille du pouvoir iranien
Un député conservateur accuse le gouvernement de dissimuler le bilan réel de l’épidémie et avance le chiffre de 50 victimes dans sa seule ville de Qom. De quoi alimenter la méfiance des Iraniens face aux autorités
C’est une attaque frontale à laquelle la République islamique n’est pas habituée: un député ultra-conservateur accuse les autorités de mensonge. Ahmad Amirabadi Farahani a affirmé lundi que le Covid19 aurait déjà fait 50 morts dans sa ville de Qom. Pire, les décès remonteraient au moins au 13 février, alors que le gouvernement n’a annoncé les deux premières victimes que mercredi dernier. «La voix de M. Farahani porte d’autant plus qu’il n’est pas du tout un réformateur, note un observateur sur place. Il n’a aucun intérêt politique à contredire le pouvoir.»
Que la ville concernée soit celle de Qom renforce le caractère explosif de cette accusation. Coeur de l’islam chiite iranien, lieu de pèlerinage et de formation universitaire, la cité incarne l’assise théologique du système. Elle est si importante que l’autoroute la reliant à Téhéran, parfois surnommée «l’autoroute des mollahs», est éclairée tout au long de ses 150 kilomètres par des lampadaires afin d’éviter les accidents si fréquents ailleurs dans le pays.
Eviter l’abstention
Le vice-ministre de la Santé, Iraj Harirchi, s’est insurgé contre les propos du député et a réitéré le chiffre de 12 décès pour l’ensemble du pays. Mais il peine à endiguer les rumeurs quant à la propagation du coronavirus. Les journalistes étrangers dépêchés la semaine dernière à Téhéran pour couvrir les élections législatives l’ont constaté: de plus en plus d’habitants portent des masques.
Pour l’Iran, cette polémique intervient au terme d’une séquence désastreuse amorcée en novembre avec la répression de manifestations contre la hausse du prix des carburants, suivie de la mort du général Qassem Soleimani dans une frappe américaine en janvier et d’un tir contre un avion de ligne ukrainien. Les démentis officiels successifs – sur le bilan de la répression de novembre comme sur les causes du crash – ont alimenté la méfiance de beaucoup de citoyens.
La semaine dernière, les autorités les ont ainsi incités à se rendre aux urnes pour renouveler le parlement. Le guide suprême Ali Khamenei a lui-même appelé chacun à accomplir son devoir civique et prouver l’assise populaire de la République islamique. «Dans le contexte actuel, le gouvernement savait que le taux de participation aux législatives serait à la baisse, explique notre observateur. Il est donc très probable qu’il ait sciemment minimisé la propagation de l’épidémie de peur de renforcer l’abstention.»
Le risque de Norouz
Les festivités de Norouz, le Nouvel An perse qui débute le 21 mars, pourraient aggraver la situation. A l’image des grands mouvements de population engendrés par le Nouvel An lunaire en Chine, les Iraniens profitent de ces deux semaines de vacances pour rendre visite à leurs proches. «Cela pourrait propager la maladie, s’inquiète l’observateur. Je connais de nombreuses personnes qui ont déjà décidé d’annuler leur voyage.» Et pour la classe moyenne qui prévoyait de passer quelques jours en Turquie durant cette période, la question ne se pose plus: les vols avec l’Iran sont désormais interrompus.
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