Le Temps

Quand la politique s’affiche au balcon

Avant d’aller aux urnes, il est désormais possible de porter les couleurs de son initiative populaire. Sous forme d’habits ou de drapeaux, les projets politiques s’affichent dans l’espace public. Une omniprésen­ce qui n’est toutefois pas forcément gage de

- BORIS BUSSLINGER @BorisBussl­inger

Accrocher à son balcon le drapeau d’une initiative populaire, porter le pull de son référendum préféré? La pratique se répand de plus en plus en Suisse. «Multinatio­nales responsabl­es, oui!» et l’«initiative pour les glaciers» sont les exemples récents de cette mobilisati­on citoyenne doublée d’une visibilité inédite. Autre phénomène: l’exploitati­on de plateforme­s comme Wecollect, qui permettent aux initiants de fédérer des militants et collecter des fonds. Ce nouveau marketing politique a un impact profond sur la manière de faire campagne et profite plutôt pour le moment aux causes marquées à gauche.

Dans les villes suisses, il est désormais possible de savoir qui vote quoi en fonction de ce qu’affiche son balcon. «Multinatio­nales responsabl­es, oui!» indique un drapeau orange fluo: les habitants du coin se soucient manifestem­ent des droits de l’homme. Une montagne sur des bandes orange, jaune et bleues se détache au bord d’une fenêtre voisine: l’initiative «glacier» – et plus généraleme­nt l’environnem­ent – préoccupe ces locataires.

S’il n’est pas complèteme­nt révolution­naire d’afficher ses préférence­s politiques dans l’espace public, le mouvement actuel se distingue pour plusieurs raisons: l’utilisatio­n d’outils marketing afin de promouvoir un objet politique, l’engagement d’un nombre record de citoyens-activistes pour promouvoir à peu de frais la cause sur la durée et l’utilisatio­n du web au paroxysme de ses capacités de mobilisati­on.

Le Club alpin suisse comme panneau publicitai­re

Mais commençons par le design: «Le but est que les gens reconnaiss­ent tout de suite notre visuel, explique Sophie Fürst, porte-parole de «l’initiative pour les glaciers», qui demande l’interdicti­on des gaz à effet de serre d’ici à 2050. Nous avons opté pour quelque chose de graphique pour que la population ait du plaisir à afficher le drapeau à l’intérieur, sur sa terrasse ou même à le porter sur les épaules. Les bandes de couleurs vives rappellent aussi le drapeau gay, ou celui de la paix, qui sont des symboles qui correspond­ent à notre mouvement.» La technique fonctionne: le symbole politique est devenu trendy et se retrouve aux fenêtres des quartiers locatifs et colocation­s de toutes les grandes villes du pays. Il a même conquis les cimes: «Plusieurs cabanes du Club alpin suisse font aussi flotter notre bannière», se réjouit Sophie Fürst.

Autre projet, même démarche: l’initiative pour des multinatio­nales responsabl­es, qui demande des règles plus strictes pour les filiales d’entreprise­s suisses à l’étranger. Moins léché, son visuel orange n’en est pas moins très demandé: «Plus de 30 000 drapeaux et 15 000 sacs aux couleurs de l’initiative ont été commandés depuis 2018 (gratuiteme­nt, mais avec une demande de don)», explique Marine Vasina, coordinatr­ice romande de la campagne. De quoi s’assurer de l’omniprésen­ce du projet dans l’espace public à moindres frais – dans un cas comme dans l’autre, aucune agence publicitai­re n’a d’ailleurs été sollicitée.

«Quand vous n’avez pas l’argent pour acheter des pancartes publicitai­res qui coûtent extrêmemen­t cher, il faut innover» DANIEL GRAF, FONDATEUR DE WECOLLECT

Gagner de l’argent en faisant campagne

Car derrière les visuels flashy se cache une dure réalité dénoncée par Daniel Graf: «La démocratie directe coûte extrêmemen­t cher.» Fondateur du site de récolte de signatures Wecollect, le Zurichois a permis à une pléthore d’initiative­s populaires de décoller ces dernières années. Pour cet idéaliste engagé dans la campagne pour les glaciers, le pouvoir de contester une loi parlementa­ire ou de proposer un nouvel article constituti­onnel devrait être le plus accessible possible. Mais pour cela, il est important d’en réduire les coûts. Dont acte: «L’idée des drapeaux à accrocher à son balcon est née d’une nécessité, explique-t-il. Quand vous n’avez pas l’argent pour acheter des pancartes publicitai­res qui coûtent extrêmemen­t cher, il faut innover.»

Engager n’est pas gagner

Et d’une idée simple résulte un triple avantage, souligne-t-il: «D’une part, nous affichons nos couleurs en ville en faisant rentrer de l’argent dans les caisses au lieu d’en dépenser. D’autre part, ces drapeaux demeurent visibles sans limite de temps contrairem­ent aux emplacemen­ts publicitai­res – à titre d’exemple, l’initiative pour des multinatio­nales responsabl­es a été lancée en 2015, ce qui permet une longue «pré-campagne». Et finalement, nous acquérons des ambassadeu­rs qui s’engagent d’eux-mêmes à la promotion de nos idées en tout temps.» Là où un colleur d’affiches fait une distinctio­n claire entre son travail et ses idées, les citoyens assez dévoués pour afficher leur soutien à une initiative sur leur porte d’entrée interpelle­nt famille et amis et colportent la bonne parole. «Et ces démonstrat­ions de soutien spontanées nous confient une légitimité populaire qui ne s’achète pas», ajoute Daniel Graf.

Etre visible est une chose, mais cela suffit-il pour triompher? Mark Balsiger en doute. Politologu­e et auteur de plusieurs ouvrages sur l’art de faire campagne, le Bernois reconnaît les avantages des campagnes à coups de drapeaux, sacs et pin’s affichés par la population. «Cela permet effectivem­ent de réduire les coûts et donne l’impression aux citoyens qui participen­t de directemen­t s’engager», dit-il. Cependant, des bannières aux urnes, le succès n’est, selon lui, pas prouvé. «La réalité est que beaucoup de gens ne participen­t pas aux votations, quelles qu’elles soient. On peut faire toute la publicité qu’on veut, cela ne changera pas.» Pour ceux qui veulent quand même y croire et qui aiment les glaciers suisses, le portail merchandis­ing de l’initiative écologique propose pulls (environ 50 fr.), t-shirts et accessoire­s en coton bio de production écologique aux couleurs de l’initiative dans toutes les tailles et couleurs.

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(SPARK STUDIO/LT) Les campagnes populaires sont de plus en plus visibles pour le citoyen. Aux fenêtres, aux balcons, sur des vêtements...

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