Le Temps

Le style Zidane, ou comment gérer les ego

Le choc de ce soir entre le Real Madrid et Manchester City oppose deux des entraîneur­s les plus titrés de la décennie. Mais si tout le monde connaît les principes de jeu de Pep Guardiola, qui peut définir le «zidanismo»? Il a pourtant ses spécificit­és

- FLORENT TORCHUT, BARCELONE @FlorentTor­chut

En tant que joueur il a tout gagné. Et aujourd’hui, à 47 ans, sur le banc du Real, Zinédine Zidane affiche déjà un prestigieu­x palmarès, avec trois Ligues des champions au compteur. Qu’est-ce qui caractéris­e cet entraîneur dont l’aura fascine ses joueurs? «C’est avant tout un excellent gestionnai­re de groupe, et au Real, où cohabitent de grands ego, c’est déterminan­t, relève un ancien joueur merengue.» Avant le choc de ce soir qui oppose en Ligue des champions le Real Madrid à Manchester City, décryptage de la méthode Zidane.

On peut avoir atteint des sommets individuel­s (un Ballon d'or et trois FIFA World Player) et collectifs (Coupe du monde 1998, Euro 2000), en sélection comme en club (vainqueur de la Ligue des champions, de la Série A ou encore de la Liga), et poursuivre cette glorieuse destinée dans le costume d'entraîneur (trois Ligues des champions, une Liga) sans pour autant être le dépositair­e d'un style bien défini. C'est le cas de Zinedine Zidane, l'un des plus grands palmarès du football mondial, sur le rectangle vert puis derrière la ligne de touche, mais dont la philosophi­e de jeu échappe à la rigidité des étiquettes.

Au commenceme­nt, il y a cette image du faux timide qui se métamorpho­se dès lors qu'il hume le parfum de la compétitio­n, capable d'obtenir l'adhésion sans faille de son vestiaire. «C'est avant tout un excellent gestionnai­re de groupe, et au Real Madrid, où cohabitent de grands footballeu­rs, et donc de grands ego, c'est un aspect déterminan­t, relève Luis Milla, ex-joueur merengue (1990-1997) qui garde un oeil attentif sur le club. Il sait faire passer ses idées à son vestiaire, qui a une grande confiance en lui.»

L'approche psychologi­que est sans doute le levier que Zinedine Zidane maîtrise le mieux, entretenan­t des rapports solides avec les divers éléments son groupe. «Il est conscient qu'avec 11 joueurs il n'ira nulle part, note Pablo Polo, chargé de couvrir l'actualité du Real Madrid pour le quotidien sportif Marca. Il s'assure donc que tous ses joueurs soient satisfaits, il ne laisse personne de côté. De cette manière, il est toujours parvenu à tirer le meilleur de son groupe. Il fait en sorte que la ligne de démarcatio­n entre titulaires et remplaçant­s soit la plus fine possible.»

Son statut d'ancienne légende confère au Marseillai­s une aura qu'il manie à la perfection. «Zidane a su transmettr­e son caractère tranquille et pondéré à ses joueurs, qui savent gérer les situations adverses sur le terrain et maintenir la tête froide dans les moments clés», analysait le quotidien El Español en mai 2017. Les nombreuses remontadas réussies sous sa direction témoignent d'un engagement jusqu'à la dernière minute sans se laisser emporter par les émotions. En conférence de presse, sa discrétion et sa réticence à s'épancher le servent. «Aucun entraîneur ne possède la pondératio­n, la tranquilli­té et l'élégance de Zidane, souligne El Español. Jamais il ne dit un mot plus que l'autre, ne fait un geste ou un commentair­e péjoratif sur un adversaire.»

La possession sans obsession

Si le joueur était sanguin (12 cartons rouges), l'entraîneur Zidane a appris à canaliser son énergie sur le banc du Real, d'où il n'a jamais été expulsé. «Lorsque vous travaillez avec des joueurs qui ont du talent et de l'expérience, le plus important est de leur amener de la sérénité, expliquait-il sur le site de l'UEFA en septembre 2018. C'est ce dont j'avais besoin lorsque j'étais joueur, et je me suis attaché à développer cette attitude.» «Son expérience de footballeu­r lui permet d'aborder les problèmes et de gérer les périodes plus difficiles, juge Luis Milla, aujourd'hui commentate­ur sur Gol TV. Il perçoit bien les détails, les comprend et les digère bien. Il sait se montrer patient quand les résultats ne sont pas bons, car il sait que cette équipe finira toujours par relever la tête.»

Son passé de numéro 10 mêlant élégance et efficacité rejaillit également sur le jeu de son équipe. «Pour moi Zidane est un entraîneur offensif, qui aime avoir la possession de balle, faire le jeu et évoluer dans le camp adverse», glisse Pablo Polo. «Quand tu as le ballon, tu ne cherches pas à le récupérer, donc tu es normalemen­t moins en danger; tu peux aussi faire courir l'adversaire, et donc le fatiguer, disait encore Zinedine Zidane à l'UEFA. Sachant que mes joueurs pouvaient le faire, je me devais de renforcer notre identité de jeu autour de la possession, non pas uniquement pour avoir le ballon, mais pour le faire progresser chez l'adversaire. Pour autant, être en possession du ballon ne garantit pas la victoire.»

Son absence de dogmatisme sur la question le place à mi-chemin des autres références de sa profession. «Il cherche à être maître du jeu et à ne pas dépendre de l'adversaire, à la différence d'un José Mourinho ou d'un Diego Simeone. Zidane a un style plus proche de celui d'un Pep Guardiola ou d'un Manuel Pellegrini, mais il se montre plus flexible que ces deux-là, résume le journalist­e de Marca. Il n'est pas attaché à un seul système de jeu. Actuelleme­nt, il joue en 4-4-2 mais il a aussi utilisé le 4-5-1 ou le 4-3-3 par le passé. Il s'adapte en fonction des joueurs dont il dispose.»

En ce sens-là, le départ de Cristiano Ronaldo pour la Juventus Turin à l'été 2018 a forcément fait évoluer sa réflexion. «Durant son premier passage sur le banc du Real (2016-2018), lors duquel il a remporté trois Ligues des champions, tout était plus facile avec Cristiano devant, constate Luis Milla. Sans lui, il a dû s'adapter, l'équipe ayant perdu une grande partie de son pouvoir offensif et de son efficacité. Il a donc formé une équipe plus compacte, plus solide et plus agressive, qui travaille davantage pour récupérer le ballon. Son Real est devenu plus pragmatiqu­e, plus caméléon.»

Pour autant, Zinedine Zidane a toujours refusé de s'attarder sur les caractéris­tiques de ses rivaux pour se concentrer sur ses troupes. Il s'en était expliqué à l'UEFA durant son année sabbatique: «Avec mon staff, nous consacrion­s du temps aux analyses collective­s, mais nous limitions la restitutio­n à l'essentiel, car je voulais que mon équipe reste centrée sur notre jeu. Par contre, je consacrais du temps aux analyses individuel­les durant la semaine, et avant chaque match, j'avais un petit mot pour chaque joueur.»

Admiratif de l'entraîneur français, Luis Milla ose tout de même une critique. «Ses choix tactiques au cours des rencontres ne sont pas toujours adéquats, considère l'ancien milieu de terrain du Real Madrid. Il se trompe parfois, comme cela a été le cas contre le Celta Vigo (2-2, le 16 février), où il aurait dû se montrer plus ambitieux et demander à ses joueurs de continuer à jouer pour aller chercher le troisième but, plutôt que de chercher à assurer le nul.»

Son passé à la Juventus Turin (de 1996 à 2001), sous l'égide de Marcello Lippi, puis de Carlo Ancelotti, et sa saison d'apprentiss­age dans l'ombre de ce dernier, en tant qu'adjoint au Real Madrid (20132014), ont influencé sa vision tactique. «Il a compris que le football était en train de devenir un sport de plus en plus intense, où il est essentiel d'avoir des milieux de terrain box to box, qui savent attaquer et défendre à la fois, comme c'est le cas de Paul Pogba, qu'il aimerait recruter. Son équipe possède plusieurs éléments dotés d'une grande force: Federico Valverde, Toni Kroos, Casemiro, Sergio Ramos et Raphaël Varane. Il accorde beaucoup d'importance à la préparatio­n physique, un aspect qu'il a intégré lors de ses années en Italie.»

Le gène gagnant

Avec son palmarès et la reconnaiss­ance qui l'accompagne, comment se fait-il qu'aujourd'hui on ne parle pas de «zidanismo» comme on parle de «guardiolis­mo» ou de «mourinhism­o»? «Zidane ne cherche pas à être en première ligne, au contraire de Pep Guardiola ou José Mourinho, avance Luis Milla. Il n'est pas du genre à balancer de grandes phrases devant les médias. Il estime que ses joueurs doivent rester les protagonis­tes du jeu et préfère faire profil bas.»

Pour Pablo Polo, «le zidanismo serait plutôt une manière de gérer un groupe qu'un style propre», et s'il fallait définir Zidane en un concept, ce serait: la gagne. «Il a joué dans ce club et sait parfaiteme­nt que ce qui compte par-dessus tout ici, c'est de remporter des titres, poursuit le journalist­e de Marca. Il est persuadé que le Real Madrid a quelque chose en plus que les autres clubs. C'était d'ailleurs ce qui l'avait déjà poussé à signer ici en tant que joueur: il voulait remporter la Ligue des champions et était convaincu que c'était le club idéal pour atteindre cet objectif. Il partage ce gène de gagnant avec le Real.»

«C’est avant tout un excellent gestionnai­re de groupe, et au Real, où cohabitent de grands ego, c’est déterminan­t» LUIS MILLA, ANCIEN JOUEUR

DU REAL MADRID

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 ?? (REUTERS) ?? Au bord de la pelouse du stade Santiago-Bernabéu. «Aucun entraîneur ne possède la pondératio­n, la tranquilli­té et l’élégance de Zidane», juge le quotidien «El Español».
(REUTERS) Au bord de la pelouse du stade Santiago-Bernabéu. «Aucun entraîneur ne possède la pondératio­n, la tranquilli­té et l’élégance de Zidane», juge le quotidien «El Español».

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