Le Temps

Un îlot de cherté qui coûte 15 milliards à l’économie

- MICHEL GUILLAUME, BERNE @mfguillaum­e

Le «supplément suisse» imposé par des multinatio­nales sur le marché helvétique se chiffre en milliards pour les consommate­urs et les entreprise­s. Soumise au Conseil national en mars prochain, l’«initiative pour des prix équitables» tente de corriger le tir

L’îlot de cherté coûte cher, très cher à l’économie suisse: 15 milliards de francs, si l’on extrapole une étude de la Haute Ecole spécialisé­e du nord-ouest de la Suisse, dirigée par le professeur Mathias Binswanger. Son équipe a analysé les différence­s de prix entre la Suisse et l’étranger, en mettant l’accent sur les secteurs de la santé publique, de la gastronomi­e, ainsi que de la recherche et de la formation. Dans ces seuls domaines, les entreprise­s pourraient économiser 3,3 milliards. Cela représente 280 francs par an pour chaque consommate­ur.

La présentati­on de cette étude ne doit rien au hasard. Le 9 mars prochain, le Conseil national empoigne l’«initiative pour des prix équitables», qui demande aux Chambres de légiférer «contre les conséquenc­es sociales et économique­s dommageabl­es des cartels et autres formes de limitation de la concurrenc­e». Son texte réclame aussi une non-discrimina­tion en matière de commerce en ligne.

Une situation «choquante»

Appelé à commenter cette étude, l’ancien Monsieur Prix et conseiller national Rudolf Strahm a rappelé que le terme d’îlot de cherté ne désigne pas le niveau général élevé des coûts et salaires en Suisse, mais bien les prix surfaits imposés par les exportateu­rs étrangers par rapport à ceux pratiqués dans leur pays d’origine.

Les conclusion­s de l’étude ne révèlent aucune surprise. Le niveau de l’îlot de cherté reste très élevé. Dans certains secteurs comme la santé, c’est particuliè­rement «choquant», pour reprendre le terme de Mathias Binswanger. «Les prix surfaits rendent la santé publique plus chère et augmentent les primes», explique-t-il. Celui-ci a collaboré avec l’hôpital cantonal de Winterthou­r, qui a examiné les prix de plus de 1500 biens de consommati­on médicaux. En moyenne, les prix en Suisse sont plus élevés d’un tiers que dans les pays voisins. Pour des produits identiques, sans valeur ajoutée en Suisse! Le secteur de la santé pourrait ainsi économiser quelque 600 millions de francs.

Il en va de même pour l’habillemen­t, où le potentiel d’économies se chiffre à 1,9 milliard, les soins du corps (300 millions), les parfums (150 millions) et même les couches et aliments pour bébés (78 millions).

Face à cette situation insatisfai­sante pour trois quarts des gens selon un sondage, les consommate­urs n’hésitent plus à se mettre au volant de leur voiture pour passer la frontière. Le tourisme d’achat frise désormais les 11 milliards de francs et prive le secteur du commerce de détail de 30000 emplois. Mais si les consommate­urs sont les premiers à s’énerver, les PME souffrent aussi de l’îlot de cherté. Chaque année, l’hôtellerie et la restaurati­on paient ainsi pour 300 millions de francs en trop pour des appareils et autres instrument­s de travail. «Les surtaxes inéquitabl­es appliquées en Suisse nous discrimine­nt par rapport à la concurrenc­e étrangère», déplore le président de GastroSuis­se, Casimir Platzer.

L’initiative populaire ayant abouti en 2017, la balle est désormais dans le camp du parlement, à commencer par le Conseil national. En novembre dernier, sa Commission de l’économie et des redevances (CER) a amendé, puis approuvé le contre-projet indirect proposé par le Conseil fédéral. Celui-ci allant dans le sens de l’initiative, il n’est pas exclu que son comité décide de la retirer. «Mais il faut attendre la fin des travaux parlementa­ires, il est encore trop tôt pour se prononcer à ce sujet», déclare Casimir Platzer.

Aujourd’hui, les initiants ne semblent pas prêts à renoncer à l’interdicti­on du «blocage géographiq­ue», – la discrimina­tion des Suisses dans le commerce en ligne –, à laquelle ils tiennent beaucoup. Le Conseil fédéral, qui prétend qu’une telle mesure serait très difficile à mettre en place en l’absence d’un accord bilatéral avec l’UE, n’en veut pas, tout comme la CER du Conseil national. Mais la compositio­n de la Chambre basse a tellement changé le 20 octobre dernier que tout reste ouvert sur ce point important de l’initiative.

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