Pour quelques milliards d’euros
Les Verts allemands ont doublé leur score à Hambourg ce dimanche, avec 24% des voix, derrière les sociaux-démocrates (35%) mais loin devant la démocratie chrétienne (CDU) qui, avec 11,2%, a fait son plus mauvais résultat depuis 1951. Les Verts participent aux coalitions gouvernementales dans 11 des 16 länder. Ils dirigent le Bade-Wurtemberg depuis 2011. Ils viennent d'arracher la mairie de Hanovre au SPD. Ils sont en tête d'un mouvement qui s'installe un peu partout sur le continent, et même en France. L’intéressant chez eux est leur perception du monde comme un paysage et un habitat continus sous les nuages, sans frontière pour nationaliser l’eau des rivières, sans patrie pour étiqueter le miel des abeilles. Une voiture est française ou allemande, comptabilisée dans le produit national de la France ou de l'Allemagne et vive la concurrence. Tandis qu'un arbre est un arbre. Son passeport est climatique: zone tempérée, chaude, humide, etc. Il y a certainement un culte allemand de l'arbre différent d'un culte français ou italien mais on ne sache pas qu'ils aient fondé un Deutschtum ou une italianità de la forêt reconnaissable dans le vote des Verts au Parlement européen sur la gestion du bois.
Les Verts sont ce qui reste de l’universalisme après que, en parvenus de la souveraineté, les partis chrétiens et socialistes ont versé dans un nationalisme électoral opportuniste. Ils retiennent de l'histoire l'horreur de la guerre plutôt que le motif des séparations, la célébration des victoires ou l'importance des différences. Ils avancent l'écologie comme progrès quand le progrès a été donné pour mort. L'écologie est un logos, un produit de l'intelligence, moins populaire mais plus prometteur que les produits de la sensibilité, si chers aux nationalistes. «Tout ce qui est goût littéraire, charme, poésie, amusement peut revêtir une forme locale, disait l'historien français Ernest Renan. Mais la science est unique, comme l'esprit humain.» Armés par la science, et par le postulat qu'elle dit la vérité, les Verts défendent des comportements responsables, c'est-à-dire logiques. Une «Europe verte» est un projet, quand celui de l'«Europe» tout court semble s'être arrêté.
Avec quel argent cependant, une Europe verte? La Commission européenne proposait l'an dernier de fixer les dépenses de la période 2021-2027 à 1,114% du revenu national brut des 27 Etats membres, soit 1135 milliards d'euros. C'est peu sur sept ans, mais 5% de plus que le cadre financier précédent auquel participait la Grande-Bretagne. Les Etats contributeurs s'y sont opposés. Charles Michel, le président du Conseil européen, a alors proposé 1,074%, soit 126 milliards de moins. L'Allemagne, les Pays-Bas, l'Autriche, le Danemark et la Suède ont encore refusé, faute, ont-ils dit, d'un «juste retour» de leur cotisation. Le Parlement, quant à lui, exclut de financer les ambitions nouvelles, environnement et numérique, au détriment des politiques existantes, agriculture et fonds de cohésion. Il demande une augmentation du budget à 1,30% du revenu national brut. Ses chances de prévaloir sont des plus minces. On en est là. Comme le gros du budget européen est destiné à l'agriculture, l'absence d'augmentation signifie la carence de financement des grands objectifs environnementaux et technologiques. Et tout est bon pour reculer: Angela Merkel s'oppose à l'augmentation du capital de la Banque européenne d'investissement, l'institution n'étant pas supervisée à son goût. Quelque 500 milliards de prêts supplémentaires sont menacés.
Le mouvement vert électoral n’a presque pas d’influence sur l’emprise dominante de l’esprit national. Il a amorcé une recomposition des forces politiques. Il a rallumé l'idée de l'unité du monde contre les facilités de ses égoïsmes. Mais peut-il réunir dans un projet de sauvegarde commune des populations qui jouissent si pleinement, si goulûment de leur indépendance exprimée par la liste infinie de leurs particularités?
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