Arnaque immobilière sur l’Arc lémanique
Un promoteur a disparu avec l’argent de ses clients, qui se retrouvent sans appartement. Des observateurs estiment qu’il faut mieux protéger la branche
Où se trouve Jean*? C'est la question à 1000 francs pour les acheteurs de plusieurs appartements à Bassins, dans le canton de Vaud. Ou plutôt à 30 000 francs, l'acompte moyen qu'ils ont, chacun, versé à ce promoteur cet été en vue d'acquérir leur bien sur plan.
Jusque-là, tout semble bien se passer. A Bassins, il y a des échafaudages et une grue. Jean, toujours bien habillé, dirige une entreprise à la rue du Rhône, Real Estate Opportunities and Renovation (REOR) SA, inscrite au Registre du commerce genevois en 2017. Le groupe est propriétaire du terrain à Bassins ainsi que de plusieurs appartements à Chêne-Bougeries, qu'il a rachetés à deux architectes pour 1,7 million de francs. REOR a aussi repris une entreprise de maçonnerie au Grand-Saconnex. Chaque fois, Jean a payé et tout s'est bien déroulé.
Quand il arrive à la rue du Rhône avec sa voiture de luxe, Jean demande à l'une de ses secrétaires de descendre pour aller la garer. Un signe d'extravagance peu anodin certes – en plus, il est souvent en retard aux rendez-vous –, mais le Verniolan paraît connaître ses dossiers. Les acomptes sont signés chez un notaire de bonne facture à Morges. Le patron administre deux autres sociétés créées en 2018, l'une à son nom à Vernier, l'autre à Eysins.
Introuvable depuis cet été
Le chantier ne démarre pas? La banque garante du projet rassure les acheteurs: rien d'inhabituel dans le secteur. L'établissement cherche longtemps encore à les calmer mais, in fine, plus personne n'est dupe, d'autant plus que Jean ne répond plus et que le chantier est au point mort. Le promoteur est introuvable depuis cet été et son numéro de téléphone portable ne semble plus valable.
Une cliente finit par ouvrir une action auprès du Tribunal d'arrondissement de La Côte et de l'Office des poursuites et engage plusieurs instructions contre l'administrateur de REOR. L'une est pénale, du chef d'escroquerie et d'abus de confiance. L'an dernier, selon nos informations, Jean a reçu sept commandements de payer, auprès du canton de Vaud et de particuliers notamment. A Bassins, il y a trois victimes.
Un client porte plainte cet automne auprès du Tribunal de La Côte et dépose une requête auprès de l'Office genevois des poursuites, contre REOR mais aussi contre l'agence qui lui a permis de trouver REOR et qui, elle non plus, ne répond plus.
«N’importe qui peut se dire promoteur ou courtier, c’est très libéral et ça peut avoir des avantages, mais c’est aussi la porte ouverte aux abus»
UN NOTAIRE SOUS COUVERT D’ANONYMAT
Tout semble aussi s'être brusquement arrêté cet automne pour Privileges Real Estate SA, qui possédait une belle vitrine en face de la gare routière à Genève, où elle est établie depuis sa création en 2018. Quand nous sommes passés devant la semaine dernière, la vitrine était bâchée. Et le site internet est «en maintenance».
Les portails immobiliers qui diffusaient ses annonces, dont celles des appartements de Bassins, cessent de le faire parce qu'ils n'ont pas été payés. Une ancienne employée, qui n'a pas été payée, a porté plainte en septembre dernier auprès du tribunal des prud'hommes à Genève.
Est-ce lié à REOR? Une coïncidence, selon un ancien employé de Privileges Real Estate SA, qui l'a quittée à la suite de dissensions avec son cofondateur, un citoyen russe domicilié à Chypre. Son départ aurait brisé l'élan de l'entreprise.
Secteur non protégé
Trois spécialistes mis au courant de ces affaires par nos soins estiment que ces dernières sont révélatrices des dérives qui peuvent survenir dans un marché immobilier suisse non protégé, alors que, fin janvier encore, la justice fédérale a rejeté un recours d'un courtier dans un cas d'escroquerie à Cologny.
«N'importe qui peut se dire promoteur ou courtier, c'est très libéral et ça peut avoir des avantages, mais c'est aussi la porte ouverte aux abus», estime un notaire qui préfère rester anonyme. D'autant plus que les marges se sont réduites comme peau de chagrin.
«L'amateurisme, le low cost, les escroqueries sont de plus en plus nombreuses», renchérit Angel Montanes, président de l'Association des agences et courtiers immobiliers genevois créée en juin dernier. «Avec l'Acige nous voulons défendre la profession, en regroupant les courtiers et agents immobiliers qui ont fait leur preuve», indique-t-il.
Plusieurs procédures en justice contre REOR ont été suspendues, à la suite de la mise en faillite de l'entreprise cet hiver. Les victimes ont peu d'espoir de récupérer leur argent.
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* Nom d’emprunt