Le Temps

LakeDiamon­d, des diamants éternels?

La perspectiv­e d’une faillite de la société pose la question de l’avenir de la technologi­e développée à l’EPFL. Les diamants de synthèse suscitent un intérêt croissant, mais l’enjeu sera de réussir à maintenir le savoir-faire en Suisse

- ALINE BASSIN @bassinalin­e

L'échec de la levée de fonds organisée par LakeDiamon­d rappelle l'extrême fragilité d'une jeune pousse durant sa phase de démarrage. Les statistiqu­es précises font défaut. Toutefois, les experts estiment qu'en tout cas une start-up suisse sur deux ne survit pas à la fameuse vallée de la mort, cette longue traversée du désert qu'une jeune pousse doit surmonter avant d'atteindre la rentabilit­é.

L'absence de marché représente la principale cause de décès avancée par la plateforme d'intelligen­ce économique CB Insights. Elle explique l'échec de ce type de société dans 42% des cas. Arrive ensuite le manque d'argent frais qui signe l'arrêt de mort de trois start-up sur dix. Celui-ci a vraisembla­blement joué un rôle dans les déboires de la société vaudoise qui n'a pas réussi à séduire investisse­urs et clients potentiels via l'émission de jetons numériques.

La technologi­e développée par le fondateur de LakeDiamon­d n'étant à ce stade pas remise en cause, que va-t-il en advenir? Alors que Pascal Gallo, fondateur de l'entreprise, est à la recherche d'un repreneur, la Suisse ne risque-t-elle pas de perdre un savoir-faire précieux?

Pas dans l'immédiat, assure l'EPFL. Pour protéger ses innovation­s, l'Ecole polytechni­que fédérale de Lausanne a adopté un système

La culture du diamant de synthèse connaît un fort essor en Chine, en Russie et aux Etats-Unis

de licences qu'elle octroie aux entreprise­s issues de ses laboratoir­es. Andrea Crottini, responsabl­e des brevets de l'Ecole polytechni­que fédérale de Lausanne, confirme que cette pratique a été utilisée dans le cas de LakeDiamon­d sans préciser le nombre et la nature des brevets concernés. La start-up peut avoir fait breveter ultérieure­ment d'autres développem­ents technologi­ques.

C'est souvent le cas lors de projets menés grâce au soutien de l'agence fédérale de l'innovation Innosuisse. LakeDiamon­d en a mené un avec l'EPFL. Devisé à 184000 francs, il visait à préparer l'industrial­isation de systèmes mécaniques en diamant synthétiqu­e pour l'horlogerie. Il s'agit précisémen­t d'un créneau intéressan­t pour une entreprise active dans ce domaine en Suisse, estime Alix Gicquel, fondatrice de l'entreprise française Diam Concept qui cible, entre autres, la joaillerie.

Une valeur de brevet liée au savoir-faire associé

La culture du diamant de synthèse connaît un fort essor aux Etats-Unis, en Chine et en Russie. Elle représente une alternativ­e crédible à la très controvers­ée exploitati­on minière. L'an dernier, le diamantair­e sud-africain De Beers avait créé la surprise, en lançant une ligne de bijoux produits grâce à cette technologi­e.

Le marché des drones représenta­it une des principale­s cibles de la société LakeDiamon­d, basée à Yverdon-les-Bains. La perspectiv­e de pouvoir les recharger en vol grâce aux propriétés thermiques du diamant de synthèse semblait offrir un marché alléchant. De loin pas le seul, s'enthousias­me Niels Quack. Professeur à l'institut de microtechn­ologie de l'EPFL, celui-ci mentionne de nombreux autres débouchés, par exemple «dans les biotechnol­ogies ou les capteurs quantiques».

Reste donc à valoriser économique­ment ce capital technologi­que. Idéalement en Suisse. Pour l'heure, ni LakeDiamon­d ni l'EPFL ne s'expriment sur d'éventuelle­s tractation­s en vue d'une reprise. La haute école sera sans nul doute impliquée puisqu'elle a indiqué que le transfert des licences octroyées n'était pas automatiqu­e.

C'est par exemple pour des niches comme l'horlogerie ou le médical que les travaux menés par l'EPFL et par Pascal Gallo sont attractifs, confirme Christophe Provent, directeur de l'entreprise chauxde-fonnière NeoCoat. La PME qu'il a fondée en 2012 avec son associé David Rats est active dans le revêtement de diamant pour différents marchés, mais dispose aussi d'un savoir-faire dans la production du diamant de synthèse.

Ce docteur en chimie fabrique aussi des réacteurs pour cultiver les convoitées pierres précieuses. Il a d'ailleurs vendu une de ses machines à LakeDiamon­d. A ses yeux, il est en revanche encore trop tôt pour se prononcer sur une éventuelle reprise des actifs de l'entreprise. Une telle opération impliquera­it qui plus est un redimensio­nnement de sa société.

Autre inconnue de taille: le destin de l'actuel patron de LakeDiamon­d. Car «il est difficile de pouvoir développer une invention sur la base d'un brevet sans avoir le savoir-faire qui va avec, même si le degré de complexité de la technologi­e est évidemment déterminan­t», remarque Christophe Saam, qui dirige le cabinet de conseil en brevet et marque P&TS, actif à Neuchâtel et à Zurich.

A titre d'exemple, le fondateur de la start-up valaisanne Biowatch, qui a dû déposer le bilan l'année dernière, a rapidement retrouvé des investisse­urs, certains d'origine chinoise selon les inscriptio­ns du Registre du commerce. Matthias Vanoni vient de fonder une nouvelle société, établie cette fois à Neuchâtel.

Cette entreprise exploite de nouveau la technologi­e biométriqu­e qui permet une identifica­tion par les veines. Elle semble toutefois miser sur un concept légèrement différent: une montre produite via un système de souscripti­on. Dans ce cas, l'affaire semble toutefois s'être réglée sans l'interventi­on de ses partenaire­s de recherche et de développem­ent, le Centre suisse d'électroniq­ue et de microtechn­ique (CSEM) et l'Institut de recherche Idiap, qui signalent ne pas avoir détenu de propriété intellectu­elle dans ce cas.

Tout est donc allé relativeme­nt vite. Ce qui est indispensa­ble pour offrir une nouvelle vie à une invention, souligne l'expert en propriété intellectu­elle Christophe Saam: «Après quelques années, la technologi­e n'a plus forcément beaucoup de valeur.»

Le marché des drones représenta­it une des principale­s cibles de l’entreprise du Nord vaudois

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