Le Temps

A Genève, Normalito veut rendre tous les gens normaux

- MARIE-PIERRE GENECAND Normalito, jusqu’au 3 mars, Théâtre Am Stram Gram, Genève, 1h15, dès 11 ans.

Un garçon standard, une fillette surdouée… Au Théâtre Am Stram Gram, la Française Pauline Sales touche et fait rire avec une enquête identitair­e sur fond de WC où se réfugier

La normalité, c’est quoi? «C’est Lucas. Un garçon de 10 ans, ni très beau, ni très laid, avec un QI dans la moyenne et vivant avec ses deux parents de la classe moyenne», répond la dramaturge Pauline Sales. Dans Normalito, à voir au Théâtre Am Stram Gram, à Genève, son super-héros, Lucas, précise lui-même: «Dans ma classe, au milieu des précoces, de tous les troubles du dys, des handicapés machin chouette, des réfugiés bidule truc, on est une poignée à se retrouver… normal, quoi.» Pauline Sales, qui signe aussi la mise en scène, n’a pas froid aux yeux. Invitée à parler de la normalité par Fabrice Melquiot, directeur des lieux, elle imagine une rencontre entre Lucas, ce petit garçon qui se sent «normal nul» et Iris, une enfant HP en quête de simplicité. La touche ironique? Chaque famille rêverait d’élever l’enfant opposé…

Des WC aux foyers

Dans cette création, il n’y a pas que le propos qui soit subversif et très bien mené. Le lieu des débats est aussi particulie­r. Tout commence et se termine dans des WC. Ceux de l’école, d’abord, où Lucas est envoyé par la maîtresse pour réfléchir à son intoléranc­e à la différence et ceux de la gare, à la fin de l’histoire, où les deux enfants trouvent refuge auprès d’une dame pipi à l’identité surprenant­e.

Entre deux, les portes des toilettes ouvrent sur les appartemen­ts des enfants. Celui, qu’on imagine stylé et exigeant, des parents de Lucas. Et celui, plus populaire et sans façon, des parents d’Iris. Un peu à la manière du film culte La vie est un long fleuve tranquille, mais plutôt version bobo que version aristo, la famille de Lucas, fan de design et de plats véganes, regrette à demi-mot d’avoir un garçon sans relief particulie­r. Tandis que la famille d’Iris, des bons vivants façon Bidochon, est un peu dépassée par leur fille surdouée.

Logiquemen­t, l’inverse marche aussi. La petite fille HP trouve la maman de Lucas passionnan­te alors que Lucas adore les rondeurs de la génitrice d’Iris. «Quand elle te serre, c’est tellement doux. Tu sens ses seins, son ventre, ses cuisses comme une couverture que tu remonterai­s jusqu’au cou ou une montgolfiè­re sur laquelle tu te laisserais aller pour bientôt t’envoler!»

Antoine Courvoisie­r, décomplexé

Comme on peut l’imaginer, Pauline Sales aborde la normalité pour mieux défendre le droit à la différence et la singularit­é. Et s’il y a des tensions entre ces deux pôles, la solution pourrait bien se trouver dans l’amour… Antoine Courvoisie­r joue Lucas. Depuis qu’on l’a découvert et déjà encensé en 2015, ce comédien formé chez Serge Martin continue à nous sidérer par son naturel et son inventivit­é. Ici, il donne au garçon normal – et au père d’Iris – une décomplexi­on qui n’est jamais vulgaire. La comédienne Pauline Belle est très juste aussi dans le rôle de la fillette surdouée – ou de la mère de Lucas. Elle incarne parfaiteme­nt l’étrangeté un peu butée des enfants trop savants. Quant à Anthony Poupard, l’aîné de la distributi­on, il prête à sa Lina-Alain une présence canaille qui amène une belle fantaisie à l’histoire.

La morale de cette fable pour WC aux portes battantes? Que les parents doivent laisser respirer leurs enfants, sans les juger ou projeter sur eux leurs fantasmes privés. Et que les enfants doivent chérir leur liberté de penser, d’agir et de sentir. Pauline Sales en est convaincue: plus un enfant est libre et proche de ses sentiments, plus il est tolérant.

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