Le Temps

Judy Garland au crépuscule

- ANTOINE DUPLAN @duplantoin­e

Dégringolé­e de l’arc-en-ciel, la star hollywodie­nne donne au soir de sa vie une série de galas à Londres. «Judy» revient sur ce chant du cygne avec Renée Zellweger dans le rôle de la diva fracassée

La première scène organise la rencontre de l'ogre et du Petit Chaperon rouge. Il est énorme, onctueux et implacable, terrible. Menue, soumise, tétanisée, la fillette écoute sa leçon sur le pouvoir du rêve. Lui, c'est Louis B. Mayer, patron redouté de la Metro-Goldwyn-Mayer; elle, c'est Frances Ethel Gumm, plus connue sous le nom de Judy Garland.

Le nabab et la débutante sont dans les coulisses du conte de fées, sur le tournage du Magicien d’Oz. Un décor s'escamote, révélant le mythique «yellow brick road», sur lequel s'élance la fraîche Dorothée. Quant à Judy, le chemin pavé d'or la mènera à l'apogée de la gloire et au fond du trou.

«Je ne suis Judy Garland qu’une heure par soir»

A la fin des années 1960, Judy Garland est une épave. Elle avale des barbituriq­ues par pleines poignées qu'elle fait descendre avec de grandes rasades d'alcool. Sans le sou et sans domicile, elle a dû laisser ses enfants à son ex-mari. Un imprésario lui propose une série de galas de la dernière chance à Londres. «Les Anglais sont fous de vous», lui assure-t-il. «C'est parce qu'ils sont insensés», réplique-t-elle.

Vieille petite fille fracassée par la gloire, star capricieus­e et pathétique, la diva ravagée est attendriss­ante et insupporta­ble. Si elle en fait voir de toutes les couleurs à son entourage, l'icône gay conserve un fond de gentilless­e, de simplicité, d'empathie qui s'exprime quand elle va manger une omelette chez un couple de vieux admirateur­s.

«Je ne suis Judy Garland qu'une heure par soir», dit-elle. Sous les projecteur­s, le miracle a lieu: la star refleurit et emmène ses fans au-dessus de l'arc-en-ciel. Certains soirs, où elle a forcé sur la bibine, ça tourne au vinaigre. Elle traite de «foutu babouin» un spectateur. Mais quand la grâce descend sur elle, la chanteuse transporte la salle. Eperdue d'admiration, l'audience se substitue à elle quand sa voix la trahit et psalmodie Over the Rainbow à sa place, dans une célébratio­n fervente marquant le pinacle émotionnel du film.

Enfance brisée

Homme de théâtre, Rupert Goold adapte à l'écran une pièce de Tom Edge. Judy montre la réalité derrière le rêve, l'emprise de la MGM sur la star juvénile et les dégâts que cela provoque. On culpabilis­e l'enfant star parce qu'elle a désobéi (flashback sur un plongeon dans la piscine ou un hamburger avec Mickey Rooney…),

on lui prescrit des coupe-faim afin de préserver sa silhouette enfantine de «girl next door». Il résulte de cette enfance brisée une vie de malheur, cinq maris et un décès prématuré, à l'âge de 47 ans, quelques mois après les concerts londoniens.

Renée Zellweger incarne Judy Garland. Revenue d'un sévère passage à vide, l'interprète de Bridget Jones investit ses propres blessures dans le personnage de l'étoile qui s'effondre. Elle est bouleversa­nte, prodigieus­e dans le rôle de la star crépuscula­ire et chante d'une voix justement fêlée. Cette performanc­e lui a valu l'Oscar de la meilleure actrice.

VV Judy, de Rupert Goold (Royaume-Uni, Etats-Unis, 2019), avec Renée Zellweger, Jessie Buckley, Finn Wittrock, 1h58.

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