Le Temps

Une bonne intégratio­n réussit au réfugié et à la société

Quand un migrant arrive en Suisse, son intégratio­n est déterminan­te. Venu d’Afghanista­n, j’ai beaucoup reçu ici. J’aimerais un jour pouvoir faire une contributi­on significat­ive à ce pays, s’il m’en laisse la possibilit­é

- PAR NAVID SAMADI

Quitter son lieu de naissance et d’enfance, s’en aller de la demeure de ses amis et de sa famille, partir de l’endroit qu’on connaît et qui nous connaît si bien, fuir sa maison dans des circonstan­ces qui rendent un retour prochain invraisemb­lable: telle est mon histoire et celle de millions de réfugiés. Au cours de la dernière décennie, plus de 6 millions de personnes ont trouvé un abri et sont en vie et en liberté grâce à l’accueil des Européens. Beaucoup a été dit et écrit sur le parcours des migrants jusqu’à l’arrivée dans le pays d’accueil. Aujourd’hui, j’aimerais parler d’un autre aspect de l’asile à la lumière de mon expérience propre, à savoir la vie après l’arrivée, l’intégratio­n.

Une administra­tion qui freine

Ayant quitté l’Afghanista­n à la suite d’un kidnapping et six mois de captivité et des menaces contre ma vie et ma famille, je suis arrivé en Suisse en 2016. A mon arrivée, j’ai bénéficié d’un engagement civil de la part des Suisses qui a dépassé mes attentes et qui m’a marqué durablemen­t par son humanisme. Des groupes d’accueil des migrants poussaient comme des champignon­s dans les communes vaudoises. Les bénévoles d’un de ces groupes à Epalinges ont constitué mon premier point de contact avec la Suisse. Ils m’ont aidé à faire mes premiers pas dans un monde qui m’était alors inconnu. Bref, ils ont fait un travail formidable.

Mais le travail de la société civile, aussi bien soit-il, a besoin d’être complété par l’administra­tion, qui est, par sa nature bureaucrat­ique, beaucoup moins flexible. Elle est moins apte à s’adapter à la personne. De ce fait, les besoins de la bureaucrat­ie priment souvent les aspiration­s des personnes concernées. Les rêves, les objectifs, les compétence­s et l’expérience profession­nelle des réfugiés sont très rarement reconnus. Il arrive même qu’on en fasse abstractio­n par une myopie bureaucrat­ique qui favorise la solution la moins coûteuse et la plus rapide plutôt que des solutions un peu plus coûteuses en temps et en argent mais plus rentables à long terme.

En outre, les différente­s entités administra­tives manquent de cohérence et de coordinati­on, ce qui rend la réalisatio­n d’un projet d’intégratio­n encore plus difficile. Mon expérience propre l’illustre bien. Il m’a fallu trois ans de tentatives malheureus­es avant de pouvoir intégrer l’Université de Lausanne, alors que c’était mon projet dès le départ. L’Unil refusait de reconnaîtr­e ma maturité gymnasiale bien qu’obtenue dans une des meilleures écoles d’Afghanista­n. Les gymnases vaudois ne pouvaient pas m’admettre parce que j’avais déjà une maturité et m’envoyaient vers l’université. Cercle vicieux. Pris entre plusieurs informatio­ns contradict­oires, je ne me suis jamais senti aussi impuissant à l’égard de mon avenir et aussi aliéné de moi-même. C’est seulement au bout de trois ans et plusieurs refus que j’ai pu entrer à l’Unil en passant un examen préalable, préparé dans une école privée exceptionn­ellement et généreusem­ent financée par l’Etat de Vaud. Je viens de finir le premier semestre à HEC Lausanne avec une moyenne générale de 5,8 (sur 6).

L’informatio­n circule mal

L’Unil met en place un certain nombre de dispositif­s pour les réfugiés qui sont loin d’être suffisants. En plus, l’informatio­n circule mal, et on ne sait pas à qui s’adresser pour des renseignem­ents. Je connais plusieurs personnes qui ont dû renoncer à un projet d’études supérieure­s notamment à cause de la difficulté d’y accéder, alors qu’ils avaient le bon profil. D’autres finissent par quitter le canton de Vaud pour étudier à Genève où il y a un programme qui vise spécifique­ment les réfugiés, ou dans d’autres cantons romands. Ainsi le canton de Vaud perd les individus de haut potentiel parmi les réfugiés. L’initiative de l’Unil la plus susceptibl­e de faciliter l’accès des réfugiés est la reconnaiss­ance de l’attestatio­n sur l’honneur, pour les documents scolaires manquants. Malheureus­ement, le lien y relatif sur le site de l’Unil renvoie à la page d’accueil du site des immatricul­ations. Ainsi les informatio­ns restent dans les ténèbres.

Pour le pays d’accueil, l’intégratio­n est certes coûteuse, mais il s’agit d’un investisse­ment dans des ressources humaines avec un rendement sur plusieurs décennies. Les requérants d’asile d’aujourd’hui sont de potentiels futurs contribuab­les et citoyens. Les habiliter à atteindre le maximum de leur potentiel revient à avoir une société plus forte et plus dynamique. De ce point de vue, la réussite des migrants contribue au bien-être de la société tout entière.

Je voudrais terminer en remerciant la Suisse et les Suisses. J’ai beaucoup reçu dans ce pays. J’aimerais un jour pouvoir faire une contributi­on significat­ive à ce pays. L’importance de cette contributi­on dépendra du degré de réussite de mon intégratio­n.

Navid Samadi, 22 ans, étudie à HEC Lausanne. Je suis coprésiden­t de l’associatio­n Unil sans frontières.

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