En Inde, la loi sur la citoyenneté déchire le pays
Deux camps s’opposent de manière déterminée suite au «Citizenship Amendment Act» qui facilite l’obtention de la citoyenneté indienne pour les réfugiés hindous, sikhs, jaïns, bouddhistes et parsis du Pakistan, d’Afghanistan et du Bangladesh
Le gouvernement de Narendra Modi, premier ministre nationaliste hindou du Bharatiya
Janata Party (BJP), a modifié la loi de
1955 sur la citoyenneté (CAA). Elle permet désormais aux réfugiés de confession hindoue, sikhe, jaïne, bouddhiste et zoroastrienne d’obtenir la citoyenneté indienne en cinq ans au lieu de onze. L’adoption de la loi a déclenché une vague de protestations.
Il est reproché au BJP d’utiliser la loi comme moyen d’élargir sa base électorale, d’une part, grâce au vote des immigrés hindous venus de l’autre côté de la frontière, mais en renforçant le sentiment nationaliste des résidents indiens.
Gautam Bhatia, avocat basé à New Delhi, explique à la BBC: «Les implications sont claires. Si le gouvernement va de l’avant avec son plan de mise en oeuvre d’un registre national des citoyens, ceux qui en seront exclus seront divisés en deux catégories: ceux en majorité musulmans qui seront désormais considérés comme des migrants illégaux et les autres, non musulmans, qui sont désormais immunisés par le projet de loi, s’ils peuvent prouver que leur pays d’origine est l’Afghanistan, le Bangladesh ou le Pakistan.»
Les premières manifestations ont eu lieu dans l’Etat d’Assam et du Tripura dans le nord-est du pays, à la frontière avec le Bangladesh, où des milliers de réfugiés bangladais sont installés. Il faut savoir que la situation des Etats du nord-est est particulière de par sa localisation géographique isolée, sa culture différente et par une tendance au séparatisme qui explique le mécontentement des populations locales. Le Citizenship Amendment Act viole un accord datant de 1985, qui stipulait que tout réfugié devait être identifié et renvoyé dans son pays afin d’apaiser les mouvements séparatistes assamais.
Les universités et la violence policière
Après la validation du CAA, plusieurs universités musulmanes et laïques du pays, notamment à New Delhi, Aligarh, Kanpur, Bareilly et Lucknow ont commencé à contester la loi. En décembre dernier, des forces de l’ordre sont intervenues violemment à l’intérieur des bâtiments universitaires, dont certains établissements reconnus comme la
Jamia Milia Islamia de New Delhi, la Jawaharlal Nehru University de Delhi et l’Aligarh Muslim University. La Banaras Hindu University, située à Bénarès, l’une des grandes villes saintes de l’hindouisme, avait d’ailleurs témoigné sa solidarité avec ces universités.
Deux mois après l’intervention des forces de l’ordre à l’intérieur de la Jamia Milia Islamia, la publication d’une vidéo par le comité de coordination de l’université où l’on voit des paramilitaires et des policiers agresser les étudiants dans la librairie du bâtiment provoque l’indignation du public et de l’opposition politique.
La manifestation de Shaheen Bagh
Dans le quartier de Shaheen Bagh dans la vieille Delhi, le CAA, les interventions policières et d’autres problématiques nationales comme le chômage, la pauvreté ou la condition de la femme ont engendré une manifestation permanente initiée par une dizaine de femmes le 14 décembre dernier. La mobilisation est toujours en cours et rassemble désormais 100000 participants de chaque génération qui se livrent à des activités comme dessiner, peindre, réciter des discours ou cuisiner pour les autres membres du mouvement. L’aire occupée s’est rapidement couverte de peintures, posters et de graffitis qui ont été partagés en grand nombre sur les réseaux sociaux, dont Twitter et Instagram notamment.
En réplique aux nombreux mouvements contestataires, le BJP et d’autres organisations nationalistes hindoues ont organisé des manifestations et des discours en faveur de la loi, notamment en Assam, au Gujarat, à New Delhi et à Calcutta.
Les événements de ces derniers mois ont mis en lumière les problèmes et polémiques concernant la situation politique, sociale et économique en Inde, qui restent néanmoins dans l’ombre des événements ayant lieu en Chine, Russie et aux Etats-Unis.
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Il est reproché au parti du premier ministre d’utiliser la loi comme moyen d’élargir sa base électorale